Réforme pénale, mise en lumière des SPIP : l’aube, ou la nuit ?

Entre ses annonces au SPIP de Seine-et-Marne, pour son premier déplacement dans un SPIP, et la future présentation du projet de loi pénale en Conseil des Ministres1, après un été médiatiquement houleux et les arbitrages de l’Elysée, la Garde des Sceaux a rendu publics les éléments du pré-projet de texte baptisé « loi de lutte contre la récidive ». Le SNEPAP-FSU, qui a eu accès au texte, en dresse sa première analyse, transmise à la Garde des Sceaux et à ses conseillers lors d’une audience spécifique le jeudi 5 septembre dernier.

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 INDIVIDUALISATION DE LA PEINE

Le principe de l’individualisation des peines, réaffirmé en tête du chapitre sur le régime de l’exécution des peines, voit sa portée renforcée ; il prend tout son sens avec les abrogations des peines planchers et de l’automaticité des révocations de sursis. Ces suppressions constituent une indéniable avancée, ces dispositifs ayant montré leurs conséquences sur la surpopulation carcérale et leurs effets contre-productifs en terme de lutte contre la récidive.

Par ailleurs, le SNEPAP-FSU salue la tentative d’alignement des régimes appliqués aux condamnés en état de récidive sur ceux mis en œuvre pour les primo-délinquants : les premiers ne sont plus exclus de l’obligation de motiver le choix d’une peine d’emprisonnement non aménagée, ni des dispositions prévoyant l’emprisonnement avec sursis en dernier recours. La démarche apparaît pour autant bien timide en ce qu’elle écarte la question des réductions de peine, des seuils d’aménagement de peine ou de l’automaticité du mandat de dépôt à la barre pour les condamnés en état de récidive légale.

L’apparition d’un ajournement du prononcé de la peine pour investigation sur la personnalité, aux côtés de l’ajournement simple et de l’ajournement avec mise à l’épreuve, offre une alternative intéressante à la permanence d’orientation pénale, pour le prononcé d’une peine adaptée. Encore faudra-t-il que les juridictions et les SPIP soient en mesure de rendre cette disposition pleinement effective.

 LA CONTRAINTE PENALE

Avec la création de la contrainte pénale, notre corpus juridique se dote enfin d’une véritable peine de probation, une peine à part entière, et non un dérivé de la peine d’emprisonnement, comme c’est le cas du SME. Il s’agit d’un incontestable pas en avant vers la reconnaissance de la probation, vers le déplacement du centre de gravité de la prison à la probation. Ainsi, si nous soulignons positivement l’apparition de la contrainte pénale dans la liste des peines de l’article 131-3 du code pénal, nous regrettons qu’elle ne soit positionnée qu’à la fin, la peine d’emprisonnement, pourtant posée comme dernier recours, demeurant en tête de liste.

Le texte pose le principe selon lequel les juridictions n’auront plus vocation à définir les mesures d’assistance, de contrôle et de suivi, les obligations et interdictions dès le prononcé de la contrainte pénale. En effet, elles seront déterminées, après évaluation par le SPIP, par le JAP. Les juridictions pourront toutefois définir certaines obligations et interdictions1, sans attendre la décision du JAP. Dans ce cadre, le SNEPAP-FSU salue l’impossibilité pour la juridiction de prononcer une obligation de soins. Elle peut soumettre la personne condamnée à une injonction de soins strictement encadrée. Cela permettra d’éviter le prononcé quasi automatique de l’obligation de soins, qui place régulièrement les services et les professionnels du secteur médical en grande difficulté.

Mais la création d’une nouvelle mesure en parallèle du dispositif existant est une hérésie. Une expérimentation a minima aurait pu cibler une nouvelle peine de probation comme seule peine envisageable pour certaines infractions. Le SNEPAP-FSU portera, lors de ses prochaines rencontres avec les parlementaires, sa revendication d’une peine de probation qui, faisant disparaître le SME, engloberait les autres mesures (TIG, PSE, SL, P.E) pour les décliner en fonction des situations individuelles et de leur évaluation. Il en va de la lisibilité et de la simplification de l’architecture pénale, et de l’appropriation de la mesure par les professionnels, les personnes sous main de justice et les citoyens.

Plus encore, la plus-value par rapport au SME est quasi inexistante. La juridiction peut prononcer une peine de contrainte pénale, applicable à tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à 5 ans, lorsque la personnalité de son auteur et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif renforcé. La notion de suivi renforcé est donc placée au cœur de cette mesure ; mais il pouvait déjà en être ainsi avec le SME. La seule différence avec le SME étant l’adjonction potentielle d’un TIG, l’intérêt semble limité puisque le sursis-TIG pouvait avoir la même fonction. Le risque de voir les magistrats se tourner vers des mesures connues est fort ; celui de privilégier des mesures contraignantes de type PSE ou semi-liberté prégnant.

En outre, il est profondément contradictoire de partir du principe que la contrainte pénale repose sur des suivis renforcés, alors même qu’elle vise un nombre de délits considérés comme les moins graves, et qu’il n’y a pas d’évaluation réelle au stade de son prononcé2. De plus, ce principe influencera SPIP et JAP, réduisant leur marge d’appréciation quant à l’intensité du suivi : elle condamnera l’évolution et l’adaptation de son contenu jusqu’à son terme, et ce malgré les phases d’évaluation intermédiaires et les possibilités d’ajustement offertes. Force est de constater qu’avec cette contrainte pénale, le suivi renforcé de principe est né.

Parallèlement, s’agissant des modalités d’exécution de la contrainte pénale, le texte précise qu’elles seront fixées par une ordonnance du JAP. Or, pour le SNEPAP-FSU, il eut été opportun que le JAP statue sur les obligations, restrictions et interdictions proposées par le SPIP dans le cadre d’un débat contradictoire, garant du respect des droits de la défense.

Nous regrettons que le principe initial de peine de probation, porté de longue date par notre organisation, ne soit pas décliné jusqu’au bout ; de fait, il est à craindre que les personnels, souvent débordés et dépassés, accueillent cette nouvelle mesure avec le plus grand scepticisme. Le SNEPAP-FSU ne manquera pas de peser sur les débats parlementaires afin d’accroître le périmètre de cette peine de probation et d’empêcher que l’intensité du suivi soit prédéterminée par la loi.

 LES AMENAGEMENTS DE PEINE

Le SNEPAP-FSU regrette l’absence de courage du gouvernement avec la création d’une libération sous contrainte qui n’est en fait qu’un examen systématique au 2/3 de peine de la situation des condamnés à moins de 5 ans. Nous sommes donc bien loin d’une libération anticipée d’office comme mode normal d’exécution d’une peine. De plus, contrairement aux intentions initiales, aucun critère n’est prévu pour limiter les cas de rejet. En effet, cette libération sous contrainte pourra être écartée pour les motifs les plus divers, dont ceux caractéristiques d’une justice à deux vitesses et basés sur des contingences sociales et matérielles. Les professionnels ne sont pas dupes ; la liberté sous contrainte n’apporte qu’une très faible plus-value par rapport à la PSAP, supprimée comme la SEFIP.

Plus encore, le SNEPAP-FSU est effaré de l’apparition d’une disposition, issue des derniers arbitrages présidentiels, qui prévoit l’abaissement des seuils pour les aménagements de peine (723-15 CPP uniquement) : 6 mois pour les récidivistes et un an pour les non récidivistes. Cette restriction est en parfaite contradiction avec les principes et objectifs portés par cette réforme pénale. Conjuguée au recours potentiellement limité à la contrainte pénale et à la liberté sous contrainte, à l’automaticité des mandats de dépôt à la barre en cas de récidive légale, au maintien d’un régime distinctif pour les récidivistes et non récidivistes, ses conséquences pourraient être graves pour le taux d’occupation des établissements pénitentiaires, comme pour le processus de réinsertion de nombre de personnes condamnées à de courtes peines d’emprisonnement.

 LES ACTEURS DE L’EXECUTION DES PEINES

Le SNEPAP-FSU prend acte de la redéfinition des missions du service public pénitentiaire aux articles 2 et 3 de la loi pénitentiaire de 2009 potentiellement remaniée.

En indiquant que l’accès des personnes condamnées aux droits sociaux est assurée par les autres services de l’Etat et les collectivités territoriales, la place du droit commun est reconnue. Depuis de longues années, le SNEPAP-FSU milite pour que les services de droit commun prennent la place qui leur appartient dans les établissements pénitentiaires mais aussi auprès des publics justice suivis en milieu ouvert. Les personnes sous main de justice, déjà suffisamment stigmatisées, ne font l’objet que d’une restriction ou d’une privation de liberté : elles doivent donc avoir accès aux mêmes droits que les autres citoyens.

Le SNEPAP-FSU, qui a longtemps porté seul le principe du caractère régalien de la probation, se félicite de l’apparition, dans le même paragraphe que celui consacré aux fonctions de greffe, de direction et de surveillance, des missions d’insertion et de probation. Pour autant, nous ne sommes pas dupes.

Article 3 de la loi pénitentiaire du 24/11/2009 (projet) :

« Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires sont assurées par l’administration pénitentiaire.

L’administration pénitentiaire assure une mission d’insertion et de probation pour l’exercice de laquelle elle peut mettre en oeuvre tout partenariat utile.

Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d’une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. »

Au-delà de la distinction entre les « fonctions » et les « missions » (seules les premières ne semblent pouvoir faire l’objet d’une délégation), en mentionnant que l’administration pénitentiaire assure « Une » mission d’insertion et de probation, et non pas LA mission d’insertion et de probation, la portée de cette mention reste limitée. Si le SNEPAP-FSU trouve cela logique s’agissant de la mission d’insertion, pour laquelle l’implication vitale des collectivités locales et du secteur associatif n’est pas compatible avec le caractère régalien, il continuera de revendiquer l’inscription de la mission de probation dans la phrase consacrée à la surveillance, à la direction et au greffe.

Ce texte ne fait d’ailleurs pas disparaître du code les dispositions permettant la délégation des mesures de SME au secteur associatif. Le SNEPAP-FSU demande à ce que cesse la confusion, volontairement entretenue par certains protagonistes, entre les actions du secteur associatif portées sur le volet de l’action sociale et de l’insertion socio-économique, et ce qui ne s’apparente qu’à la privatisation des mesures de probation. Le SNEPAP-FSU n’a de cesse de saluer le travail exceptionnel du secteur associatif sur des champs de compétence et d’intervention pour lesquels il amène son expertise, à savoir les missions qui ne relèvent pas d’un service de justice (hébergement, emploi, conduites addictives etc.). Mais il continuera de défendre le service public, ses valeurs, les garanties qu’il apporte3, et combattra toute nouvelle tentative de privatisation de l’exécution des peines. Le partenariat ne signifie pas la délégation pure et simple du suivi d’une mesure.

Le SNEPAP-FSU prend acte des dispositions relatives aux relations entre les JAP et les SPIP. Nous constatons qu’il est fait une distinction entre la contrainte pénale et les autres mesures. Ainsi, pour la contrainte pénale, le SPIP procède à une évaluation, propose des interdictions et obligations, et l’intensité du suivi ; le JAP décide.

En cours de mesure, à l’occasion d’évaluations régulières et d’événements notables, l’intensité du suivi, les interdictions et obligations sont ajustées par le JAP, après avis motivé du SPIP.

La démarche est légèrement différente pour les autres mesures (SME, PSE etc). Ainsi, s’agissant de la phase d’évaluation initiale, il n’est pas fait de mention particulière pour la définition de l’intensité du suivi ; si elle semble permettre la libre détermination par le SPIP, l’avis du Conseil d’Etat de mars 2013 va sans aucun doute continuer de paralyser l’interprétation initiale de l’article D 577 du CPP, sauf à considérer que le législateur aura modifié son intention en ayant expressément confié le choix initial de l’intensité du suivi au JAP pour la seule contrainte pénale.

Au cours du déroulé des autres mesures, c’est le SPIP qui reprend la main quant à la définition de l’intensité du suivi. Il en avise le JAP, mais n’attend pas sa réponse pour la mise en œuvre. Si le JAP conserve toujours le dernier mot sur l’intensité, il devra intervenir a posteriori, par un acte explicite. Le SNEPAP-FSU n’est pas insensible à cette recherche d’équilibre entre les acteurs, mais nous regrettons que la définition de ce qui s’apparente à la fréquence des convocation par le JAP ne soit pas plus encadré.

Le SNEPAP-FSU défend le principe du magistrat seul garant des libertés individuelles. Nous sommes conscients de la responsabilité qui lui incombe, mais il est évident que la distance, plus grande entre lui et la personne suivie qu’entre le SPIP et cette dernière, peut le conduire, par précaution, à définir une intensité de suivi stricte. Des recherches ont pourtant démontré qu’une intensité trop importante, un sur-investissement judiciaire, pouvaient avoir des effets contre-productifs. Il nous faudra évoluer sur ces dispositions, insatisfaisantes.

La définition de l’intensité du suivi, qui ne vise pas forcément la seule fréquence des convocations, doit être reconnue comme un véritable outil appartenant aux personnels pénitentiaires d’insertion et de probation et leur permettant d’adapter rapidement le suivi aux évolutions et besoins de la personne.

Le SNEPAP-FSU relève que les modalités de prise en charge appartiennent toujours au SPIP, ce qui lui permettra de varier les modalités d’intervention, avec le nécessaire développement des programmes, du recours aux interventions collectives et pluridisciplinaires. Nous félicitons les multiples mentions de la phase d’évaluation des publics, étape indispensable à l’individualisation de la peine.

 UNE REFORME PENALE NE SUFFIRA PAS

Le SNEPAP-FSU accueille positivement l’annonce de 300 créations d’emplois pour les SPIP en 2014, 150 en 2015. Mais il est évident que cela ne suffira pas pour ramener la moyenne à 40 personnes suivies par CPIP, objectif annoncé par le Premier Ministre lors de son allocution du 30 août dernier. Sur la base d’un tel objectif, c’est un recrutement de 1500 CPIP qui devrait intervenir. Mais, encore une fois, il convient d’être attentif au contenu et à la nature des suivis ; toutes les mesures ne se valant pas entre elles, la course au ratio le plus bas ne doit pas être une fin en soi. Alors que la pluridisciplinarité commence à trouver son application concrète, il est impératif que le recrutement de CPIP s’accompagne, dans les SPIP, du recrutement de personnels administratifs, de psychologues, de personnels de surveillance. Un plan de recrutement pluriannuel doit être garanti, des organigrammes enfin établis.

Au-delà des ressources humaines, et tandis que nombre de services ne pourront pas honorer leurs factures pour le dernier trimestre 2013, il est impératif que les budgets soient sanctuarisés.

Enfin, il appartiendra à l’ensemble des acteurs d’entreprendre un travail de fond sur le contenu du suivi, l’évaluation, les modalités d’intervention. L’administration pénitentiaire doit poursuivre et accélérer son entreprise de décloisonnement en s’inspirant des expériences internationales. Il est plus que jamais nécessaire de créer du lien entre les SPIP et les universités, de soutenir les chercheurs, d’irriguer les services en connaissances, de les mettre en relation avec les acteurs français et étrangers de l’exécution des peines en multipliant les passerelles et les échanges.

En comparaison de la politique pénale menée depuis plus d’une décennie, ce projet va dans le bon sens. Les principes et valeurs dont il s’inspire sont globalement les nôtres. Pour autant, nous regrettons la frilosité du gouvernement et les incohérences du projet sur certains points. L’automaticité des mandats de dépôt à la barre en cas de récidive légale, le maintien d’un régime distinctif pour les récidivistes et non récidivistes et le durcissement des conditions d’aménagement de peines constituent des écueils majeurs. A ceux-ci s’ajoutent une peine de contrainte pénale au périmètre bien trop restreint et une liberté sous contrainte à la plus-value extrêmement faible. Par ce manque d’ambition, la loi s’éloigne de l’objectif sur lequel elle aurait pourtant dû se concentrer : celui de rendre la probation plus lisible, plus crédible, afin de sortir le système pénal de l’emprise carcérale.

Les personnels pénitentiaires d’insertion et de probation, longtemps laissés dans l’ombre, semblent malgré tout, enfin, en passe d’être connus et reconnus. Cette reconnaissance, et la mise en cohérence des objectifs fixés devront se traduire par l’allocation de moyens adaptés. Les travaux qui seront prochainement engagés par la DAP seront d’autant plus importants qu’ils devront permettre de doter les SPIP des méthodes nécessaires pour faire de la probation la sanction de référence…

Paris, le 11 septembre 2013

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