A Monsieur le Directeur Interrégional des Services Pénitentiaires PACA/CORSE
Monsieur le Directeur,
par courrier électronique daté du 28 avril, vous avez convié notre organisation à participer à une
réunion du Comité de Pilotage RPE pour le 4 mai au matin. Le SNEPAP-FSU PACA/CORSE vous
remercie pour l’attention que vous portez au dialogue social et à l’association des organisations syndicales
sur des points aussi importants que peuvent l’être la mise en oeuvre des Règles Pénitentiaires Européennes
(RPE), mais nous devons décliner votre invitation.
Ne voyez pas là une défiance du SNEPAP-FSU vis à vis des RPE. Notre organisation n’a plus
grand chose à prouver quant à son intérêt pour, et à son engagement dans la mise en oeuvre de ces
principes de haute exigence : le préambule de la plateforme revendicative du SNEPAP rappelle que notre
« conception humaniste entraîne la défense des droits de l’Homme et des valeurs républicaines » ; que les
« questions de sécurité ne doivent pas être réglées au détriment de ces valeurs », le SNEPAP FSU refusant
« d’opposer les droits des personnes détenues à ceux des personnels » ; notre plateforme revendicative
renvoie, à de très nombreuses reprises, aux RPE ; notre organisation a joué le rôle qui lui était dévolu dans
la défense et la mise en oeuvre de ces règles ; le 12 mai 2009, alors que les personnels dénonçaient avec
raison leurs conditions de travail, nous considérions que le moratoire décrété par la chancellerie sur
l’application des RPE n’était pas une solution.
Mais nous considérons que l’ambition ne doit pas nous éloigner des fondamentaux, que les
fondations de cette construction sont bancales et que l’application des RPE par l’Administration
Pénitentiaire française est assise sur du sable.
Depuis une douzaine de semaines, les personnels d’Insertion et de Probation sont engagés dans
un mouvement national d’ampleur, qui a pris naissance à travers leur mise en cause indigne et
irresponsable, elle même née d’un fait divers insupportable.
Alors que les standards européens et les études menées en France fixent à une soixantaine de suivis par
agent le seuil au dessus duquel l’efficience du suivi n’est plus perceptible, il n’est guère de service de votre
région qui ne soient pas au dessus de 90 à 100 dossiers par agent. Nous attendons avec une impatience
(non) feinte la mise à exécution des 1500 mesures rangées dans les placards du TGI d’Aix, ou les 1800 en
stock dans celui de Marseille…
Partout où les SPIP dénoncent l’incurie de leurs moyens, une simple difficulté d’organisation leur est
renvoyée…et cette opposition, que vous avez vous même relayée il y a peu, alors même que la question des
moyens ne semble plus être tabou pour la chancellerie, nous laisse pantois.
Et tandis que de l’aveu même de l’étude d’impact de la loi pénitentiaire, plus de 1000 CPIP devraient être
recrutés, le décret de recrutement 2011 prévoit toujours…29 postes.
Durant ce temps là, les charges continuent de s’accumuler à travers la multiplication des textes et des
exigences pénitentiaro-pénitentiaires.
L’Administration Pénitentiaire s’est saisie de quelques règles pénitentiaires seulement. Ne serait il pas
temps de lui rappeler celles ci ?
Règle 8. Le personnel pénitentiaire exécute une importante mission de service public et son recrutement, sa formation et ses
conditions de travail doivent lui permettre de fournir un haut niveau de prise en charge des détenus.
Estimez vous que l’on puisse raisonnablement parler de « haut niveau de prise en charge », à Aix en
Provence, où un Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation suit 150 à 180 mesures, ou au Centre
de détention de Salon de Provence où les personnels assurent le suivi d’environ 120 détenus en moyenne ?
Ne voyez vous sincèrement là qu’un problème d’organisation, alors que vus avez vous même souhaité le
maintien d’un CPA avec 1 CPIP pour 20 détenus, et que l’existence d’un pôle enquête (2 CPIP pour des
enquêtes qui ne sont pas comptabilisées comme des suivis) font exploser les ratios, ratios que notre
administration s’entête à voir camouflés derrière une archaïque division PPSMJ / CPIP.
Pensez vous rassurer les aixois avec l’arrivée, en septembre, de 3 personnels supplémentaires alors que 3
auront quelques semaines plus tôt déserté le service pour une retraite bien méritée ou un heureux
événement ? Pensez vous rassurer les salonnais..pardon, j’oubliais qu’aucun poste n’était prévu pour eux
sur le prochain mouvement.
Les personnels de surveillance, lorsqu’ils sont seuls sur un étage abritant de 80 à 100 détenus, et ils sont
nombreux dans ce cas en PACA, sont ils dans un « haut niveau de prise en charge des détenus » ? De leur
propre sécurité, nous n’osons soulever la question.
Règle 78. Les membres du personnel pénitentiaire professionnel doivent normalement être employés à titre permanent en
qualité d’agents de la fonction publique et bénéficier, en conséquence, d’une sécurité de l’emploi ne dépendant que de leur
bonne conduite, de leur efficacité, de leur aptitude physique, de leur santé mentale
et de leur niveau d’instruction.
Règle 81.1. Avant d’entrer en fonctions, le personnel doit suivre un cours de formation générale et spéciale, et réussir des
épreuves théoriques et pratiques.
J’ai le sentiment que ces 2 règles se heurtent au recrutement de contractuels actuellement en cours dans
notre région ; ces personnes recrutées dans l’urgence pour des SPIP aux abois, au mépris de ce qui fonde la
fonction publique et du service public qu’elle sert, qui seront jetées en pâture sur le terrain sans formation
adaptée (enfin, sans autre formation que celle que des CPIP déjà surchargés devront leur donner ) ; le
Comité de pilotage sera t’il autorisé à émettre un avis ?
Règle 79.1. La rémunération doit être suffisante pour permettre de recruter et de conserver un personnel compétent.
Les personnels de surveillance, contraints de faire un nombre incalculable d’heures supplémentaires pour
obtenir un salaire plus ou moins digne de la fonction exercée, ou les personnels administratifs auraient
sûrement des choses à dire en la matière. Les CPIP, qui attendent depuis des mois la mise en oeuvre d’une
réforme statutaire pourtant signée et publiée au Journal officiel, après 10 ans de disette, seraient tout aussi
intéressés par des discussions sur cette règle là…
Règle 49. Le bon ordre dans la prison doit être maintenu en prenant en compte les impératifs de sécurité, de sûreté et de
discipline, tout en assurant aux détenus des conditions de vie qui respectent la dignité humaine et en leur offrant un
programme complet d’activités, conformément à la règle 25.
Les fondamentaux ne sont pas loin de cette règle là. Mais les établissements où on ne compte plus
les incidents, la plupart laissés sans réponse, ni les défaillances sécuritaires, au point que dans certains
d’entre eux les personnels en viennent à supplier ou braver le statut spécial pour obtenir un audit de
l’inspection des services, sont bien éloignés de ces fondamentaux.
Règle 72.2. Le personnel doit avoir une idée claire du but poursuivi par le système pénitentiaire.
Soyez certain qu’à ce jour les personnels, confrontés à une schizophrénie de la politique pénale et
pénitentiaire qui consiste à durcir la législation au point de voir la population pénale atteindre des records,
tout en multipliant les dispositifs pour accélérer les libérations anticipées, et en mettant la pression sur les
agents pour ce faire (Surveillance électronique de fin de peine – SEFIP par exemple), n’ont aucune idée du
but poursuivi..mais les décideurs en ont ils une eux même ?
Voilà Monsieur le Directeur Interrégional quelques règles que nous aimerions voir discutées de
temps à autre.
Le SNEPAP-FSU PACA / CORSE défend, promeut, souhaite ardemment les RPE ; mais il les
veut toutes ; pas seulement quelques règles choisies ça et là, appliquées au pas de charge, au bénéfice d’une
« labellisation » qui récompense davantage certains directeurs zélés que les agents « de base » qui les
portent pourtant à bout de bras.
Les RPE apportent des avancées incontestables. Mais elles apportent aussi un lot de charges à
aucun moment contrebalancé par l’arrivée de moyens humains adéquats…Il n’est qu’à évoquer les
commissions pluridisciplinaires uniques, qui n’ont, dans certains établissements, d’unique que le nom…
Elles portent de grandes valeurs…même si leur interprétation et mise en oeuvre se heurtent
parfois…au droit ! comme lorsque le Cahier Electronique de Liaison (CEL) n’est pas soumis à l’avis
préalable à sa mise en oeuvre, pourtant obligatoire, de la Commission Nationale Informatique et Libertés
(CNIL). Je vous renvois à la lettre adressée par le SNEPAP FSU au Garde des sceaux le 10 janvier 2011 et
à la réponse du Garde des Sceaux datée du…14 avril 2011. CEL qui après s’être heurté au droit, pourrait
se heurter au bon sens si son usage irraisonné devait contraindre des personnels à multiplier l’utilisation de
logiciels divers et variés (Gide, APPI, CEL…). Remplir des pages et des pages de données…sur des
personnes sous main de justice sur lesquels nous n’avons que peu de chose à dire…puisque de moins en
moins de temps pour les connaître.
Voici quelques pensées, Monsieur le Directeur, que le Comité de pilotage interrégional RPE devra
méditer, tandis que nous serons nous, sur le terrain, en train de vivre et de faire vivre, tant bien que mal,
les Règles Pénitentiaires Européennes.
En vous remerciant pour votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur
Interrégional, l’expression de mes sentiments distingués.
Olivier CAQUINEAU
Secrétaire Régional SNEPAP-FSU PACA/CORSE