Comité Technique Ministériel du 5 mai 2017 : Déclaration liminaire

Monsieur le Ministre,

Chacun sait que lorsque nous nous adressons à vous, par ces propos liminaires, au sein de la plus haute instance représentative du Ministère de la Justice, nous nous adressons aussi aux femmes et aux hommes que nous représentons. A 48 heures d’un grand rendez-vous pour la République, pour notre démocratie, la FSU Justice se tourne aussi vers l’ensemble des personnels.

Les politiques publiques visant à promouvoir le repli sur soi, le nationalisme, à rompre avec les principes d’égalité et de cohésion sociale, à stigmatiser les femmes et les hommes en fonction de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, sont incompatibles avec toutes les valeurs portées par la FSU Justice. Elles sont contraires à tout ce qui a donné à notre pays son humanité et sa solidité dans les épreuves. Poser ces mots, dans la France du 21ème siècle, pourrait relever de la plus grande banalité. De toute évidence, pas le 5 mai 2017. Pas à quelques heures d’un scrutin qui voit la candidate de l’extrême droite, du Front national, disons les choses, prétendre à la magistrature suprême avec un potentiel de voix qui fait frémir. Cette idéologie de la haine, du rejet, a creusé son sillon dans la banalisation des discours simplistes, dans l’instrumentalisation de la souffrance et des peurs, dans la caricature des expressions publiques, dans le mensonge. Elle s’est nourrie des orientations politiques et économiques qui ont privé, au fil des décennies, les populations les plus en difficulté de tout horizon.

Tous les personnels œuvrant dans notre Ministère, confrontés à toute la complexité de l’être humain dans leur quotidien, à ses souffrances, à ses peurs, à ses faiblesses, savent combien les solutions faciles sont illusoires. C’est sans ambiguïté, avec force, que la FSU Justice dénonce et s’oppose au programme de la candidate de l’illusion, et de l’exclusion. Le score de la représentante du Front national qui s’affichera sur nos écrans à 20h, dimanche, sera comme une tache indélébile pour la République.

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Lundi, il sera temps pour chacun d’entre nous de poursuivre le combat pour une société plus juste et plus solidaire.

Ce comité technique ministériel, le dernier de ce quinquennat, appelle un bilan. Ne pas travestir les faits, ne pas caricaturer l’expression publique, la nôtre comprise, pour ne pas tomber dans le piège que nous dénoncions précédemment. Des choses ont évolué dans le bon sens. La situation matérielle et professionnelle de certains personnels a évolué favorablement. Pas assez. Loin de là. Mais elle a évolué. Le budget du Ministère de la Justice a progressé, là où tant d’autres stagnaient, ou régressaient. La loi est revenue sur des dispositions répressives symboliques, comme ce fut le cas avec les tribunaux correctionnels pour mineurs ou les peines planchers. Elle a consacré des avancées, en tentant notamment de mettre en exergue l’utilité sociétale des peines de probation.

Ne pas travestir les faits et préserver notre devoir d’exigence, c’est aussi souligner ce qui n’a pas été fait, ou mal fait. La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines n’est pas allée au terme de la logique qui la sous-tendait.

Son contenu et la faiblesse de ce Ministère dans l’accompagnement de sa mise en œuvre n’ont pas permis d’enrayer le processus infernal qui conduit les prisons dans l’état qui est le leur aujourd’hui.

Et le programme de construction de nouvelles places de prison, sans résolution du problème à la source, n’y changera rien.

La politique de lutte contre la radicalisation violente et le développement du renseignement pénitentiaire ont, sur certains points, fait vaciller les fondations de ce Ministère. La FSU restera extrêmement vigilante et continuera à dénoncer toutes les atteintes aux droits fondamentaux qu’elle constatera au nom de la lutte contre le terrorisme.

Pour la PJJ nous avons lu attentivement le courrier que vous avez adressé à votre successeur. La FSU tient à redire que les quelques dispositions éparses et sans cohérence contenues dans la loi du 18 novembre 2016 dite « justice du 21ème siècle » et celle du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement… ne peuvent pas améliorer la situation des jeunes en situation de délinquance, quoi que vous disiez. L’extension du recours à la force publique pour l’exécution d’un placement prononcé dans le cadre pénal aura même des conséquences néfastes sur la façon dont les adolescents vont percevoir cette mesure alors qu’elle est déjà très souvent vécue comme une sanction et non comme une décision adaptée à leur situation.

Vous demandez dans votre lettre que l’on « laisse ces mesures produire les effets espérés… ». Soit. Depuis plus de 15 ans, ces jeunes font les frais des politiques répressives. La priorité à l’éducation avait absolument besoin d’être réaffirmée au travers d’une réforme ambitieuse de l’ordonnance de 1945. Elle ne l’a pas été, les procédures rapides ne sont pas abrogées, la logique de mise à l’écart et d’enfermement non plus. Au 1er avril 2017, 858 mineur.e.s étaient détenu.e.s. Une augmentation de 17% de hausse de la détention pour les mineurs depuis le 1er octobre 2016. C’est un bien triste record qui a été atteint ! Alors M.le Garde des Sceaux, ces jeunes, ils attendent jusqu’à quand ?

Ce gouvernement a gâché l’occasion de se démarquer de ses prédécesseurs sur ce sujet. Il laisse le champ libre à d’autres régressions pour les adolescent.e.s ayant commis des délits.

La création d’un corps de fonctionnaires pour les psychologues du Ministère de la Justice, promise de semaine en semaine depuis près de 4 années, n’est pas intervenue. Les psychologues de l’administration pénitentiaire restent dans leur précarité, et le traitement inéquitable de leurs carrières.

Le développement de la probation, qui concerne pourtant les 2/3 du public placé sous main de justice, n’a pas été assumé ; les travaux menés depuis trois ans sur la méthodologie d’intervention dans les SPIP ne trouveront aucune concrétisation sous ce quinquennat. Malgré les promesses et les engagements renouvelés au cours des dernières semaines.

Ce qui nous permet de faire le lien avec l’ordre du jour de ce comité technique ministériel. Les projets de décret portant double réforme statutaire au bénéfice de la filière insertion et probation, pour les CPIP et les DPIP.

Une réforme que vous avez vendue, Monsieur le Ministre, dans nombre de prises de position orales et écrites, dans des rapports officiels n’ayant aucun lien, dans votre « lettre (…) à un futur Ministre de la Justice », comme « ambitieuse ».

Les mots ont un sens. Celui-ci ne se prête guère à un projet de réforme statutaire concernant un corps qui n’a pas évolué depuis 12 ans, les Directeurs Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, et qui prévoit, pour les 2/3 de ces personnels, un gain indiciaire de…. 0. Pas un centime. Et merci de ne pas confondre la réforme statutaire en question avec les gains issus du PPCR, lequel s’est appliqué à l’ensemble des corps de fonctionnaires, et pour les DPIP dans les mêmes proportions que les corps de la catégorie A type. Ce terme « ambitieux » ne s’applique pas pour une réforme qui conduit à contingenter l’accès à l’indice HEB à 3 postes tout au mieux. Le terme « ambitieux » ne s’applique pas à une réforme qui prévoyait, aux dernières nouvelles, de retirer leur fonction de « direction » …. à des directeurs.

Le terme « ambitieux » ne s’applique pas à une réforme statutaire concernant un corps, les Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, qui verra le tiers d’entre eux bénéficier d’une poignée de points d’indice supplémentaires. Lorsque le passage à la catégorie A se traduit par une évolution de 30 €, tout au plus, nous nous permettons d’insister sur la sémantique. Les mots ont un sens.

Nous reviendrons plus tard sur l’usine à gaz d’une réforme qui conduit à la rétrogradation des personnels placés dans un grade d’avancement, et à l’embouteillage qui naîtra, pour l’ensemble du corps, dans les perspectives d’avancement.

Pour les personnels de la PJJ, le constat est le même : au niveau statutaire, les gains pour les agents sont largement insuffisants et pas à la hauteur des ambitions que le gouvernement affichait dans le protocole. Le passage en catégorie A des éducateurs.trice.s et ASS et l’abrogation programmée du statut de chef de service éducatif et de CTSS en février 2018 est l’illustration parfaite de ce manque d’ambition et du manque de cohérence statutaire de la politique de ce ministère.

D’ambition, aujourd’hui, il ne sera définitivement pas question. Pas dans les textes qui nous ont été présentés en tout cas.

Paris, le 5 mai 2017

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