« Groupe de travail »sur les métiers du SPIP : attention à la marche…
Lors de son premier déplacement dans un SPIP, le 5 juillet dernier, la Ministre de la Justice avait notamment annoncé son envie de voir le travail des personnels pénitentiaires d’insertion et de probation repensé et revalorisé. Estimant nécessaire la réflexion sur les missions des personnels des SPIP, elle évoquait l’installation d’un groupe de travail en septembre en précisant : « vous devez pouvoir contribuer à la réflexion sur vos métiers pour en assurer l’efficacité ». Finalement, il aura fallu attendre près de 5 mois pour que les organisations professionnelles soient informées des modalités de cette réflexion, et ce à l’occasion d’une réunion organisée quelques jours avant Noël et présidée par Madame GORCE, Directrice de l’Administration Pénitentiaire.
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Après avoir évoqué un « questionnement lancinant » sur les métiers du SPIP à l’intérieur de notre administration, Madame GORCE a abordé la future réforme pénale et ses enjeux pour l’exécution des peines et les SPIP, placés au cœur du dispositif. Elle a longuement insisté sur la nécessité de donner un contenu à la contrainte pénale, dont la viabilité reposerait sur sa différenciation d’avec le SME. Si nous approuvons la DAP lorsqu’elle affirme que les personnels pénitentiaires sont les mieux placés pour donner du sens et du contenu à une mesure, il paraît cependant curieux de faire reposer sur eux ce qui s’apparente clairement à la justification de la création de cette nouvelle peine…Les doutes et l’opacité qui entourent la communication autour de la contrainte pénale nous confortent dans notre revendication d’une peine de probation crédibilisée et valorisée, englobant les mesures existantes et faisant disparaître le SME. Si une réflexion peut, et doit voir le jour sur les métiers du SPIP, comme un écho aux travaux engagés en 2009 et abandonnés depuis, elle doit questionner la probation de manière plus globale…
Il est évident que les SPIP ne seront pas en mesure de remplir pleinement leurs missions sans que des problématiques majeures ne soient traitées : ressources humaines et matérielles, formation et pré-affectation, organigrammes…
Pour autant, nous saluons la volonté de la Garde des sceaux et de Madame GORCE de vouloir doter notre administration et nos services d’une doctrine.
Tout en s’appuyant sur l’expérience et la culture de nos services, il est effectivement temps de s’intéresser à la recherche, d’irriguer les SPIP en connaissances, de questionner et d’enrichir nos pratiques. Ainsi, la DAP vient de répondre à l’une de nos demandes en procédant à la publication et à la diffusion d’une synthèse sur le rapport de Sarah DINDO sur le SME et d’un document sur les règles européennes de la probation. Le SNEPAP-FSU insiste sur la nécessité d’accompagner cette démarche auprès des personnels en multipliant les espaces d’échange au niveau local ; certaines DISP commencent à donner suite aux consignes qui leur ont été données en ce sens.
Parallèlement, Madame GORCE a indiqué qu’il était fondamental de reprendre la réflexion sur la question de l’évaluation des publics. Le rapport d’évaluation sur le DAVC, rédigé par l’inspection des services après une enquête réalisée à l’automne, vient d’être rendu public, conformément à notre demande. Evoquant rapidement les deux écoles théoriques et rappelant que notre pays est culturellement plus proche de l’école clinique, elle a indiqué qu’il n’était pas question d’importer un outil depuis l’étranger pour l’appliquer tel quel en France, mais qu’il fallait doter notre pratique d’une assise scientifique. La construction d’un outil d’évaluation sur la base du principe de recherche-action, dans un délai de 24 mois, est évoquée. La DAP entend mobiliser des crédits européens pour associer des chercheurs français et européens.
Le SNEPAP-FSU soutient cette démarche, portée depuis plusieurs années, largement relayée par un certain nombre d’acteurs, notamment depuis la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Pour ne pas commettre les mêmes erreurs qu’avec le DAVC, le support scientifique devra être effectif, et il conviendra de faire preuve de pédagogie avec les personnels qui devront être pleinement associés.
Ces travaux ne s’engagent pourtant pas sur les bases les plus prometteuses..
Plusieurs entités, mises en lien et animées par un « groupe projet » composé de 5 personnels de la DAP formeront le « groupe de travail ». Ce groupe abordera les questions de l’évaluation des publics, des méthodes de prise en charge, des ressources humaines, de l’identité professionnelle des métiers, le lien avec les autorités judiciaires et le partenariat avec les structures de droit commun.
Le Comité de pilotage, dont le « rôle est d’orienter et de valider les travaux des autres entités », se réunira toutes les 6 semaines. Composé de 20 personnes (7 membres de la DAP, 2 DISP, le Directeur de l’ENAP, 4 DFSPIP, 3 CPIP, 1 directrice d’établissement, 1 JAP, 1 universitaire), il a été installé dans la précipitation à la mi-octobre, puis laissé en jachère durant plusieurs semaines pour ne se réunir qu’une fois mi-décembre.
Un groupe « mandants », composé de magistrats, s’intéressera « aux processus de prise en charge et aux méthodes de travail à mettre en œuvre pour exécuter de manière satisfaisante les décisions de justice »… Certes, l’action des SPIP s’inscrivant dans le cadre d’un mandat judiciaire, une réflexion de fond mérite un échange avec les magistrats mandants. Néanmoins, nous rappelons que les magistrats ne sont pas chargés des suivis et que les personnels d’insertion et de probation ne sont pas de simples exécutants… Quelle est donc la légitimité de ce groupe pour décliner des processus de prise en charge et des méthodes d’intervention ?
Un groupe « relations établissements pénitentiaires/SPIP réunira des chefs d’établissement et des DFSPIP afin d’éclairer la réflexion de la commission métiers concernant l’intervention du SPIP en milieu fermé et son articulation avec l’établissement pénitentiaire. Il s’agit, dans la lignée de la circulaire du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP, de venir préciser les rôles et responsabilités dévolus au SPIP et à l’établissement dans la prise en charge des personnes détenues ». Difficile d’appréhender les véritables objectifs de ce groupe alors que les relations entre les différents services sont régies par des textes qu’il faudrait déjà commencer par appliquer…
Un groupe « organisations représentatives ». Dans sa grande bonté, l’administration réunira les organisations professionnelles une fois tous les deux mois, point trop n’en faut. La notion de « groupe de réflexion » est pour le coup parfaitement inadaptée puisqu’il s’agit davantage de points d’information que de véritables espaces d’échange et de travail. Nous mettons la DAP en garde face aux tentations de délégitimation des organisations professionnelles…
Une commission « métiers » composée de 4 personnels d’encadrement, de 5 CPIP et des traditionnels 5 membres du groupe projet issus des services de la DAP, doit se réunir à partir de janvier 2014… « Elle associera à ses travaux les autres catégories de personnels des SPIP et des experts selon les thèmes abordés (…). Elle travaillera de manière séquentielle, à raison d’une réunion tous les 15 jours et présentera ses travaux au comité de pilotage. La réflexion aura pour point de départ la création des nouveaux dispositifs prévus par le projet de réforme pénale, confrontés aux préconisations des groupes « mandants » et « relations établissements pénitentiaires/SPIP ». Les travaux de cette commission s’articuleront autour de 3 ateliers : un atelier pratiques professionnelles (prise en charge des publics, évaluation, suivis différenciés, partenariats) ; un atelier « ressources humaines » (recrutement, formation, déontologie et postures professionnelles) ; un atelier « réforme pénale » (contrainte pénale, liberté sous contrainte).
Le SNEPAP-FSU dénonce l’opacité de la procédure de désignation des personnes composant ces différentes entités. Alors que la DAP nous informe que plus de 150 noms de professionnels ont été transmis par les DISP, insistant sur le grand nombre de candidatures spontanées, elle nous explique que, lorsqu’un groupe de travail est constitué, il l’« est toujours de façon non démocratique » !
Un processus transparent, indispensable pour donner pleine légitimité à la démarche, aurait a minima justifié un appel à candidature au sein des services !
Le SNEPAP-FSU dénonce également la faible place réservée aux personnels en exercice dans les SPIP, et plus particulièrement aux CPIP, ainsi que l’absence totale de personnels administratifs, psychologues et autres personnels de surveillance « PSE ». Le concept de pluridisciplinarité reste définitivement à construire…
En outre, si nous sommes parfaitement conscients du fait qu’un groupe de travail doit, pour garantir des échanges fructueux, être limité en nombre de participants, nous déplorons que la « commission métiers », entité pourtant la plus importante sur le fond, soit la plus faible numériquement…
D’une manière générale, la disproportion entre les personnels représentant l’administration et les acteurs de terrain est préoccupante… La sur-représentation de l’administration et des magistrats permettra difficilement aux agents de terrain de se reconnaître dans la démarche. Nous pouvons encore regretter qu’une place plus importante ne soit pas réservée aux chercheurs et universitaires.
Pour ce qui concerne l’interaction entre la « commission métiers » et les autres formations de ce « groupe de travail », les rares collègues impliqués seront donc mis en position de répondre "à la commande" des autres entités… Tout comme les SPIP sont perpétuellement mis en demeure de répondre aux exigences de tous sans avoir à fixer leurs propres conditions à l’exercice de leurs missions, leurs attentes vis-à-vis des établissements, des autorités judiciaires…
La Directrice de l’Administration Pénitentiaire se réfère régulièrement au modèle de réforme belge… Elle semble néanmoins oublier que nos voisins ont clairement délimité le territoire de chacun dans le triptyque autorité mandante – assistant de justice – usager, que chacun est donc reconnu dans ses prérogatives, compétences, droits et devoirs… Existe t-il un seul métier dont la déontologie serait définie par d’autres ?
Si le SNEPAP-FSU soutient le principe d’une réflexion sur les métiers du SPIP, d’un questionnement et d’un enrichissement des pratiques, les plus grandes réserves sur la méthode retenue et le calendrier des travaux sont émises. La chancellerie comme la DAP ont, à plusieurs reprises, rappelé l’importance d’offrir un support opérationnel au texte devant le Parlement. La Directrice de l’administration pénitentiaire a tenté de nous rassurer en expliquant que la démarche reposerait sur deux temps, avec cette première échéance de la fin de l’hiver, et une seconde à plus long terme, afin de laisser les travaux aller à leur terme. Or, il est fondamental que les calendriers politiques et professionnels soient distingués, sous peine de dévoyer les principes soutenant la démarche en cours, et d’ôter toute crédibilité au résultat final.
De plus, seules l’association et l’implication efficientes des personnels permettront d’assurer la réussite de ces travaux. Ainsi, nous exhortons l’administration à multiplier les espaces d’échange et de réflexion au niveau régional et local et invitons l’ensemble des personnels à investir ces espaces et à provoquer leur création lorsqu’ils n’existent pas.
L’occasion est belle d’enfin faire émerger une "pensée de la probation" qui ne nous réserve pas les mêmes lieux communs éculés, de mettre en avant des gens qui se mobilisent, réfléchissent, construisent et peuvent porter autre chose qu’un discours convenu..