Intersyndicale Insertion et Probation : demande d’audience au Premier Ministre

A Monsieur le Premier Ministre

A Paris, le 10 mars 2016

Objet : Demande d’audience – Justice – Personnels d’Insertion et de Probation

Monsieur,

De la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de février 2013 à la loi du 15 août 2014 « relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales », la représentation nationale et la société civile ont, à travers un débat riche, sain, et au-delà des divergences de vue, pu constater la complexité du processus de sortie de la délinquance.

Ainsi il ne peut exister, en matière de prévention de la récidive et d’insertion/réinsertion des personnes placées sous-main de justice, aucune réponse simpliste. Aucune peine, quelle qu’en soit la nature et la forme, ne se suffit à elle-même. Pour décliner son exécution, pour accompagner la personne condamnée

dans un questionnement nécessaire et lui permettre de trouver ou de retrouver une place dans la société, avec les droits et les devoirs inhérents, les débats, s’ils ont souligné la nécessaire implication de toutes les composantes de notre société, ont consacré un service de l’Etat et les personnels qui le compose : le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), les personnels pénitentiaires d’insertion et de probation.

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Les trois organisations professionnelles représentatives de la filière insertion et probation partagent l’ambition d’une politique de l’exécution des peines respectueuse des droits humains. Celle-ci n’oppose pas les questions de sécurité et la défense des personnels aux bonnes conditions d’accompagnement des personnes placées sous-main de justice. Ces organisations font pourtant le constat suivant :

"-" Les personnels d’insertion et de probation évoluent toujours dans des conditions d’exercice particulièrement difficiles.

Pourtant, dans le sillage des lois du 24 novembre 2009 et du 15 août 2014, dans celui du plan de lutte contre la radicalisation, ils ont dû répondre à de nouvelles charges, à l’accumulation de priorités, tout en étant engagés dans le questionnement de leurs pratiques et de l’évolution de leurs missions. A ce titre, d’importants travaux sont menés depuis deux ans au sein de l’administration pénitentiaire et de nos services, autour d’une meilleure individualisation des prises en charge et des méthodes d’intervention.

Les personnels ont été largement mis à contribution dans ce cadre. Leur professionnalisme et leurs compétences sont réels et reconnus à travers les textes ; ils doivent dès lors être reconnus sur le plan statutaire.

L’évolution statutaire et indemnitaire de la filière insertion et probation est d’autant plus d’actualité qu’elle s’inscrit en parallèle d’une évolution actée pour d’autres corps particuliers de l’administration pénitentiaire (révision récente du statut de personnel de surveillance, rénovation en voie de finalisation pour les directeurs des services pénitentiaires, discussions engagées pour les officiers et les personnels techniques) ou évoluant en son sein : assistant(e)s de service social pour lesquels l’accès à la catégorie A est envisagé dans le cadre du Parcours Professionnels Carrières et Rémunérations (PPCR).

Elle l’est d’autant plus qu’elle relève également de l’enjeu d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

En effet, alors qu’en France les écarts de rémunération sont à hauteur de 27% pour les salaires et 40% pour les pensions, la Fonction Publique doit avoir, elle aussi, une réelle politique volontariste pour lutter contre ces discriminations.

Il y a 3 ans, le 8 mars 2013, le protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la Fonction Publique signé par l’ensemble des organisations syndicales prévoyait d’examiner la situation des filières fortement féminisées et des écarts de rémunération qui peuvent être constatés avec des filières plus mixtes ou fortement masculines. Dans un rapport de 2014 intitulé « Agir pour la mixité des métiers », le Conseil économique social et environnemental a également préconisé que le principe de traitement égal pour travail de valeur égale soit appliquée dans les grilles de rémunération et le régime indemnitaire dans la Fonction Publique.

Globalement, de nombreuses professions à dominance féminine sont sous-valorisées. On parle là bien sûr d’une discrimination indirecte car ce ne sont pas les femmes qui sont ici directement discriminées mais ce sont les emplois occupés majoritairement par elles qui sont les plus sous-évalués. Les corps de la filière insertion probation sont pleinement concernés par cet enjeu car ils sont très fortement féminisés : à plus de 75% et dans le même temps leurs missions sont sous-valorisées. Ainsi, lorsque des mesures indemnitaires et de revalorisation statutaire sont engagées pour la majorité des corps de l’administration pénitentiaire qui sont à prédominance masculine (soit plus de 30 000 personnels) et que nous faisons le constat de l’exclusion volontaire de la filière à prédominance féminine (4000 personnels), nous ne pouvons que considérer que le Ministère de la Justice contribue à intensifier de façon globale les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.

La filière insertion et probation souffre de tout temps d’une méconnaissance de ses missions et de son action. Et de tout temps, cette méconnaissance se répercute sur sa condition statutaire. Elle est pourtant la seule catégorie professionnelle, composée de Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP) et de Directeurs Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (DPIP), à suivre les 67000 personnes

détenues et plus de 180000 personnes concernées par une peine exécutée dans la communauté (contrainte pénale, sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique, placement à l’extérieur etc.).

Et pourtant, en décembre 2015, et sous couvert de la mise en oeuvre de l’acte 2 du plan de lutte contre le terrorisme, le Ministère de la Justice consacrait un abondement en ressources humaines et offrait un certain nombre de mesures catégorielles dans une seule logique : la détention. Pour une seule partie des

catégories professionnelles de notre administration : les personnels de surveillance et les personnels administratifs. Ne nous y trompons pas : ces mesures améliorent légitimement la situation de ces corps de l’administration pénitentiaire.

Mais comment accepter qu’un pan entier des missions et des personnels de l’administration pénitentiaire soit une nouvelle fois ignoré ? Comment comprendre que des personnels, eux aussi tout entier engagés dans l’exécution de missions régaliennes, ne bénéficient pas de la même évolution indemnitaire que leurs collègues ? Cette discrimination, ce mépris, les personnels ne l’acceptent plus. Et c’est ensemble, Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et Directeurs Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, qu’ils se sont engagés, aux côtés de leurs trois organisations professionnelles représentatives, pour une pleine reconnaissance de leur action.

"-" Le Régime indemnitaire tenant compte des fonctions des sujétions de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) est dénoncé par l’ensemble des organisations professionnelles.

Imposé dans notre ministère (aux corps communs à partir du 1er janvier 2016), il doit s’appliquer aux autres corps au 1er janvier 2017. Nous dénonçons haut et fort cette « prime au mérite » qui est opaque et source de nombreuses inégalités entre les agents et exigeons son abrogation.

"-" Depuis 2007, la formation des CPIP est particulièrement dégradée par la mise en place de la pré-affectation des stagiaires.

Ce système a des conséquences désastreuses pour les services et pour les personnels. Affectés sur les sites les plus en pénurie d’effectifs, les stagiaires CPIP sont amenés à immédiatement combler les manques, en faisant l’économie du temps et de la progression nécessaires à un apprentissage de qualité.

Mis en situation extrême et dans les conditions de travail les plus dégradées, les futurs CPIP sont encadrés par des tuteurs qui sont le plus souvent de jeunes titulaires faisant face eux-mêmes à des charges de travail démesurées. La pré-affectation implique que les stagiaires ne sont pas répartis sur l’ensemble du territoire et que l’effort d’accueil est concentré sur le Nord, l’Ile de France et l’Est.

Plus encore, ce système appauvrit les expériences de terrain et réduit la diversité de celles-ci allant jusqu’à des stages qui s’exercent uniquement en milieu fermé ou en milieu ouvert ou pire encore au sein d’un pôle spécialisé (pôle aménagements de peine, pôle Travail d’Intérêt Général…). Le 16 septembre 2015, par un vote à l’unanimité des élus au Comité Technique SPIP, les organisations professionnelles

représentatives des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), engagées sur ce point dans une démarche unitaire depuis plusieurs mois, ont officialisé leur volonté de mettre fin au dispositif de pré-affectation des CPIP stagiaires.

Partageant la position des organisations professionnelles, la Directrice de l’Administration Pénitentiaire a néanmoins indiqué aux représentants du personnel que la décision, compte tenu de son impact sur l’organisation des services, devait être soumise à l’accord du Ministère de la Justice qui n’y a pas donné de suite favorable, en remettant aux calendes grecques un éventuel calendrier de travail pour une prochaine promotion. Or, le recrutement de la 20ème promotion est passé et celle de la 21ème est en cours : il s’agit d’une question qui doit pourtant être traitée de façon urgente afin de mettre fin à ce système désastreux pour les personnels et les services.

"-" Depuis décembre 2014, les personnels socio-éducatifs ayant intégré la filière insertion probation connaissent une attaque forte et inique dans le calcul de leur pension de retraite.

En effet, l’administration a opéré un revirement rétroactif dans le calcul de cette pension en décidant de ne plus intégrer la prime de sujétions spéciales (PSS) sur l’ensemble de la carrière. Cette perte représente des montants pouvant aller jusqu’à 500 euros sur une pension et touche plus de 400 personnels. Malgré nos différentes interventions auprès du ministère, cette situation injuste n’a pas changée ! Il est urgent qu’un texte législatif vienne sécuriser ces personnels et rétablisse une équité de traitement.

"-" Enfin, si un effort de recrutement pour les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation a effectivement pu être constaté, c’est surtout parce que ces services ont été tenus à l’écart des priorités en matière de ressources humaines au cours des 20 dernières années. Au-delà du fait que nous affirmons aujourd’hui, sur la base d’éléments factuels concrets, que l’ouverture triennale de 1000 postes dans les SPIP ne sera pas respectée, ce plan de recrutement est en tout état de cause insuffisant, et doit être prolongé dans le temps.

Depuis le 5 février 2016, à la suite d’un appel intersyndical de nos trois organisations représentatives, l’ensemble des personnels des SPIP se réunissent massivement en Assemblée générale et sont prêts à mettre en place un rapport de force afin d’obtenir leurs légitimes revendications.

L’intersyndicale CGT Insertion et Probation, SNEPAP-FSU, CFDT Interco Justice revendique :

"-" L’ouverture de négociations statutaires pour la filière insertion et probation, CPIP et DPIP.

"-" Une remise à niveau immédiate du dispositif indemnitaire et l’abrogation du RIFSEEP.

"-" La suppression de la pré-affectation dès la prochaine promotion de CPIP.

"-" L’égalité de traitement des assistant(e) de service social ayant intégré le corps de CPIP avant la note DAP de l’automne 2014, quant à la prise en compte de la PSS dans le calcul de la pension de retraite.

Une régularisation de la situation, pour les personnels concernés, doit intervenir sans délais.

"-" Un plan de recrutement permettant un véritable renforcement en ressources humaines dans les SPIP inscrit dans le plan de loi de finances pour 2017.

Nous serions honorés de pouvoir échanger plus avant sur ces questions avec vous.

Dans l’attente, nous vous prions, Monsieur le Premier Ministre, d’agréer l’expression de nos sentiments distingués.

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