LES MESURES DE PROBATION CONFIEES AU SECTEUR ASSOCIATIF, POURQUOI IL FAUT DIRE NON !

La confusion entre partenariat et mise en concurrence

Les personnels d’insertion et de probation sont convaincus de la nécessaire implication de la société civile dans le parcours d’exécution de peine d’une personne condamnée, dans un objectif de réinsertion et de prévention de la récidive. Depuis plus de 50 ans, ils oeuvrent déjà aux côtés d’associations, lesquelles amènent toute leur expertise sur des champs propres.

Le secteur associatif vient compléter l’action de l’Etat et des collectivité territoriales. Les champs d’interventions sont nombreux : accompagnement vers l’emploi avec les chantiers d’insertion, exécution matérielle du travail d’intérêt général, hébergement social, animations socio-culturelle en détention, action sociale de première ligne avec l’ouverture de droits sociaux, accès aux droits, accompagnement des familles de personnes détenues, lutte contre les conduites addictives, visites de personnes détenues etc.).

Le partenariat est parfois fragile (financement précaire des associations, méconnaissance mutuelle des acteurs, charges de travail respectives qui nuisent à l’entretien de relations constructives et pérennes, coordination défaillante), et personne ne conteste la nécessité d’une amélioration de l’articulation des relations entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation et le secteur associatif. Comme il faudra améliorer celle-ci avec l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale.

Mais il ne peut être question de confondre la notion de partenariat, de collaboration dans un objectif commun et partagé, avec la mise en concurrence. Le partenariat et l’implication de la société civile dans le parcours d’exécution de peine des personnes condamnées, n’impliquent pas la délégation pure et simple du suivi d’une mesure de probation.

Travailler ensemble ne signifie pas travailler « à la place de ».

En confiant le suivi intégral d’une mesure de probation à une association, il ne s’agit pas de partenariat, ni de collaboration, mais de la substitution du secteur privé associatif au service public de la justice en matière d’exécution de la peine. Deux acteurs, ramenés au rang de « prestataires de services », travailleront en parallèle, sans point de connexion, sur les mêmes champs.

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Pourquoi la notion de « peine exécutée dans la communauté », d’ « acteur de la société civile » est telle tronquée et dévoyée ?

Les associations dites « socio-judiciaires » qui seront chargées du suivi de mesures de probation ne sont pas, contrairement à la croyance, composées de bénévoles. Elles recrutent des travailleurs sociaux, des juristes, des psychologues, des personnels administratifs, des cadres. Les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) sont eux mêmes composés de Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP), d’agents administratifs, de psychologues, de cadres, de personnels de surveillance, d’assistants de service social. Essentiellement alimentées par des fonds publics, ces associations rémunèrent leurs employés. L’argument des dites associations, qui mettent en avant leur pseudo représentation de la société civile, est de fait infondé. En quoi, dans ces conditions, ces structures seraient plus à même d’incarner la « communauté » que le service public de la Justice ?

Pourquoi il ne s’agit ni plus ni moins que d’une privatisation de la probation ?

Les associations socio-judiciaires, même habilitées, sont des associations régies par le droit privé, qu’elles soient « à but lucratif » ou non. Elles décident seules de leur mode de fonctionnement et d’organisation ; elles décident des moyens de financement (subventions de l’Etat et des collectivités territoriales, cotisations des membres, dons, mécénat, partenariat avec des entreprises etc.). Les associations recrutent, forment, et gèrent leurs employés dans le cadre du droit du travail, et donc d’un régime de droit privé.

L’association socio-judiciaire « ESPERER-95 » écrit dans ses textes fondateurs : « Parallèlement à ces financements publics, des subventions de fonctionnement ou d’investissement peuvent être sollicitées auprès d’organismes privés fondations, associations, entreprises) pour réaliser notamment des actions expérimentales ou innovatrices. »

L’association APCARS, prévoit dans ses statuts que ses ressources annuelles se composent notamment : (…) « du produit des taxations et autres facturations générées par son activité ; des revenus des biens ou valeurs qu’elle possède ; des rémunérations versées par certains usagers de ses services ; de « toute autre ressource non contraire aux lois et règlement ».

Citoyens et Justice, la principale fédération d’associations engagée dans le lobbying qui a conduit aux dispositions dénoncées, à laquelle appartiennent les deux associations précitées, écrit dans sa charte fédérale :

"Attachée à promouvoir la démocratie associative et les conditions d’une assise collective, la fédération développe une véritable politique partenariale en : (…) développant des engagements et des compétences avec le secteur privé lucratif impliqué dans des projets poursuivant les mêmes objectifs généraux de cohésion sociale et de prévention de la délinquance que ceux de la fédération. (…) Sur le plan des liens avec des entreprises privées, la fédération a contractualisé un partenariat avec Sodexo justice services. Ce partenariat se décline dans le cadre d’une convention nationale, de conventions locales avec les associations adhérentes du réseau et dans la signature de plans locaux de fonctionnement entre ces associations, les structures déconcentrées de l’Administration Pénitentiaire et les responsables de site Sodexo Justice Services."

Sodexo est une entreprise à but lucratif, prestataire de l’administration pénitentiaire pour ses établissements en gestion déléguée (maintenance, alimentation etc). Sur son site internet, cette entreprise met en avant, de manière surprenante, son action en matière de prévention de la récidive avec, notamment, des « programmes spécifiques », « centrés sur la responsabilisation », conçus pour « diminuer le taux de récidive ». Cette entreprise évoque la réunion de victimes et de condamnés dans le cadre de groupes de parole.

La confusion des actions est totale. La cohérence absente. En confiant les mesures de probation à ces associations, il s’agit ni plus ni moins d’une sortie du champ public, et donc d’une privation de l’exécution des peines.

Quels sont les risques pour le processus de réinsertion et de prévention de la récidive ?

La continuité du suivi

Le service public, à travers le SPIP, est le seul à même de garantir une continuité du suivi. Le SPIP est organisé de manière mixte : intervention en milieu ouvert dans le cadre du suivi des mesures de probation, et intervention en détention, auprès des personnes incarcérées. Le public justice, qui passe souvent par les deux phases, est donc suivi par le même service ; la continuité et la circulation de l’information sont favorisées par la tenue du dossier individuel unique, par l’utilisation d’une application informatique nationale (APPI), par une organisation structurée sur le territoire nationale (services déconcentrés avec des SPIP départementaux déclinés en antennes, Directions inter-régionales, et administration centrale directement placée sous la tutelle du Ministère de la Justice).

Les associations, la plupart du temps créées à l’échelle d’une ville, sont indépendantes et dispersées sur le territoire national. Les fédérations auxquelles certaines appartiennent, si elles permettent des approches communes, n’ont aucun pouvoir sur elles.

Les associations sont soumises aux aléas des subventions publiques. Des associations disparaissent régulièrement du fait de l’absence de dotations. Dans cette hypothèse, le sort du suivi des personnes condamnées est désastreux. Pour pallier ces difficultés, ces associations pourraient recourir aux contributions privées ; l’interdépendance avec des entreprises privées pourraient générer une perte d’autonomie dans la politique de gestion et d’intervention dans le champ de l’exécution des peines.

Quelles que soient les difficultés rencontrées par les SPIP, le service public ne peut pas « faire faillite ». La garantie du suivi des personnes condamnées est assurée.

L’égalité de traitement, l’égalité devant la loi

L’organisation du SPIP permet une harmonisation des interventions sur le territoire national. Les personnels d’insertion et de probation, issus de divers horizons (sciences sociales, juristes etc) sont soumis à la même formation, organisée par l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (ENAP), durant deux ans. Ils disposent d’une méthodologie propre, et partagée. Ces services ont acquis au cours des 50 dernières années des compétences sur lesquelles ils s’appuient ; ils sont ouverts à l’enrichissement de leur pratique, en lien avec les universités, les acteurs nationaux et internationaux compétents.

Le secteur associatif, de part sa disparité et ses moyens, ne peut proposer de méthodes d’interventions harmonisées. S’il est habilité, il n’est pas contrôlé par l’Etat, qui n’a aucun droit de regard sur les compétences et la formation de ses personnels, pas plus que sur la nature de ses interventions.

La formation des personnels associatifs est au contraire hétérogène en termes de contenu et de durée. Certains d’entre eux, en contact avec les personnels d’insertion et de probation, déplorent eux mêmes ces carences, et leur désarroi à gérer certaines situations.

Nos organisations se sont procurées un document argumentaire, intitulé « Projet de contrainte pénale associative », daté de mai 2014, utilisé par l’association APCARS dans sa campagne de lobbying. Il est question d’un « diagnostic » de la personnalité des personnes sous main de justice qui « sera fondé sur l’usage d’outils actuariels pré-existants à l’étranger (…). L’importation de l’outil, avec l’aide éventuel du National Offender Management Service (NOMS), en Grande Bretagne, est envisagé (…). ». Diverses méthodes d’intervention criminologiques sont en outre évoquées. Il est absolument impossible d’envisager que l’utilisation d’outils, importés sans aucune adaptation à la pratique et au contexte français, soit envisagée sans le contrôle de l’Etat. La construction de modes d’évaluation et d’interventions distincts sera destructrice pour l’avenir de l’exécution des peines.

Des personnes sont souvent condamnées à l’exécution de plusieurs mesures. Une dualité de suivi et d’accompagnement, avec deux acteurs, deux référents différents, deux méthodes d’intervention différentes, peut avoir des conséquences fâcheuses sur la cohérence du projet et du parcours, sur le sens de la peine pour le condamné. Nous le constatons déjà avec le suivi de SME confiés au secteur associatif. 1

C’est dans le cadre d’un parcours de peine déterminé par le SPIP et contrôlé par l’autorité judiciaire que doit s’envisager la plus-value des associations. Un système de probation reposant sur une évaluation initiale partagée nécessite un référent unique, qui oriente les publics vers un partenariat en fonction des problématiques décelées.

Règles 80 des règles européennes de la probation (Conseil de l’Europe, janvier 2010) : « Quel que soit le nombre de personnes amenées à travailler avec un auteur d’infraction, ce dernier relève de la responsabilité d’un membre identifié du personnel. Son rôle est d’évaluer, d’élaborer et de coordonner le plan d’exécution général, d’assurer les contacts avec l’auteur d’infraction et de veiller au respect du dispositif. Ce mode de fonctionnement est d’autant plus important dans les cas où les auteurs d’infraction font l’objet de plusieurs interventions ou lorsque plusieurs organismes sont impliqués ».

Le SPIP assure le suivi des personnes qui lui sont confiées dans le respect du principe d’égalité de traitement et d’égalité devant la loi. Ce principe a souvent été bafoué. A titre d’exemple, le suivi d’une mesure de SME emportant l’obligation de participer à un stage sur les violences conjugales2 a été confié à une association, laquelle a facturé le stage à la personne condamnée à hauteur de 140 €. Sur la même juridiction, le SPIP compétent proposait un programme de prévention de la récidive sur le même thème des violences conjugales ; ce programme était naturellement gratuit…

Neutralité, conflit d’intérêt

Le SPIP étant compétent pour suivre tout type de mesure post-sententielle, il n’a pas, au stade de l’enquête et de l’évaluation, d’intérêt à préconiser l’intervention de telle ou telle association, une modalité d’exécution de peine ou sa durée en fonction du type d’intervention qu’il propose lui-même. Ceci permet de garantir la neutralité de son intervention ainsi que l’absence de conflit d’intérêt dans l’orientation.

Le secteur associatif est désormais le principal acteur dans la phase pré-sententielle (enquêtes sociales rapides avant comparution etc) ; le projet de loi pénale prévoit en outre de lui confier les investigations sur la personnalité, la situation familiale, sociale et matérielles, dans le cadre d’un nouvel ajournement de peine.

Dans cette phase, l’association recueille des informations, elle émet un avis au tribunal, préconise une peine.

Le risque existe de voir une association orienter son avis vers le choix d’une mesure dont elle sait qu’elle pourra lui être confiée, au détriment d’une mesure qui pourrait être plus adaptée, mais qui serait confiée au SPIP.

Sur son site internet, la fédération « Citoyens et Justice » cite, parmi ses partenaires, l’Association Nationale des Juges de l’Application des Peines (ANJAP). Cette étroite collaboration pose de véritables questions quant à la place de chacun…

Mirage et opacité économique

Les associations socio-judiciaires sont en partie financées par les crédits des frais de justice, au niveau de chaque juridiction ; elles relèvent du budget des services judiciaires. L’impact budgétaire est difficilement perceptible ; administration et Ministère sont incapables de communiquer sur le sujet. Ainsi, il n’est pas possible d’affirmer que les associations représentent un moindre coût pour la réalisation de mesures d’exécution des peines.

L’exemple récent de la délégation de la construction, de la maintenance et de l’exploitation des établissements pénitentiaires par la procédure de Partenariat Public Privé (PPP), qui apparaissait aux yeux de tous comme un avantage évident pour les finances de l’État, peut être mis en parallèle. L’étude de la Cour des Comptes d’octobre 2011 concluait « que la gestion publique peut être moins onéreuse que la gestion privée ».

Le document argumentaire de l’association APCARS susmentionné évoque le financement des associations : il devra tenir compte de « la nature du suivi de l’exécution » de la mesure, laquelle dépend « de son intensité ; il serait juste d’établir une grille de financement prenant en compte cet élément ». « Un second facteur à intégrer serait la durée du suivi (par tranche de 6 mois). En outre, en raison de la nature expérimentale du projet en France, un financement spécifique est à prévoir pour : le recours à un outil de diagnostic actuariel (incluant les charges liées à la mise en place, la phase de test, d’évaluation et la formation afférente) ; la formation des premiers intervenants socio-judiciaires ; la formation de l’encadrement à l’évaluation des pratiques professionnelles de la probation ; l’évaluation de l’impact de la CP sur la récidive ».

Au delà du coût, le risque est évident de voir les associations privilégier les mesures les plus à même de rentabiliser le coût de leur intervention, et d’orienter l’évaluation post-sententielle dans ce sens.

Avec l’extension de la compétence des associations, il est en outre à craindre que le Ministère de la Justice soit amené, à court ou à moyen terme, à réduire les crédits de l’administration pénitentiaire, déjà dramatiquement insuffisants, pour alimenter les associations socio-judiciaires.

L’argument selon lequel les SPIP ne pourraient supporter seuls la charge de travail induite par la réforme pénale, pour justifier la privatisation d’une partie des missions d’exécution des peines est inopérant. Il appartient à l’Etat de prendre ses responsabilités quant aux moyens qu’il entend mettre en œuvre pour sa politique. Avec un tel raisonnement, la privatisation deviendra le remède miracle.

Le discours de certaines associations, tel celui de l’APCARS, qui écrivait au cours du dernier trimestre 2013 que l’Etat avait intérêt à avoir recours au secteur associatif, lequel offrait la flexibilité de gestion des ressources humaines, a été entendu par les partisans du libéralisme à tout crin, à droite comme à gauche.

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