NON à la suppression du contrôleur général des lieux de privation de liberté !
La commission des lois de l’Assemblée Nationale a adopté mercredi 1er décembre, en première lecture, le
projet de loi organique créant la nouvelle fonction de Défenseur des droits.
Il devait déjà remplacer le
médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Commission Nationale de la Déontologie de la
Sécurité et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). La commission
des lois lui a également confié la mission de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement
des personnes privées de liberté » jusqu’alors assurée par le Contrôleur Général des Lieux de Privation de
Liberté. Les organisations signataires tiennent à exprimer leur plus grande défiance vis-à-vis de la
dilution de cette autorité dans le défenseur des droits considérant qu’elle est de nature à compromettre
l’avancée des droits des personnes privées de liberté par décision judiciaire ou administrative.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a été institué par la loi du 30 octobre 2007 après un
vote consensuel des deux assemblées. Par ce biais, la France reconnaissait la spécificité des espaces de
privation de liberté et s’engageait à faire évoluer les conditions de prise en charge des personnes qui y sont
maintenues. L’enjeu est de taille tant il est à déplorer que ces espaces fonctionnent de manière dérogatoire au
droit commun. Par la création d’un organe de contrôle indépendant et spécifique, la France se mettait enfin
en conformité avec le protocole additionnel à la Convention contre la torture et autres peines et traitements
cruels, inhumains et dégradants, du 18 décembre 2002, en établissant « un système de visites régulières,
effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des
personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants ». L’intégration des missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans une
autorité héritière de l’actuel Médiateur de la République met pourtant gravement en cause la spécificité d’une
autorité voulue par le Parlement il y a tout juste trois ans et dont tous semblent pourtant s’appliquer à décrire
et à saluer les vertus.
Une confusion entre résolution des litiges et prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains et dégradants.
Héritier de l’actuel Médiateur de la République, le Défenseur des droits aura avant tout une mission de
résolution des litiges, c’est-à-dire de médiation : il interviendra comme tiers dans la résolution de conflits
entre un individu et une administration. À l’inverse, les fonctions du contrôleur consistent à contrôler les
conditions dans lesquelles des personnes sont privées de liberté dans un souci de prévention des atteintes aux
droits de l’Homme ainsi que des traitements inhumains et dégradants. Le contrôleur général n’a ainsi pas
vocation à résoudre des situations individuelles mais bien, comme il l’a lui-même indiqué, à « faire un
travail de prévention pour empêcher que, dans les établissements privatifs de liberté, les droits
fondamentaux des personnes soient méconnus ». C’est ainsi que la Commission Nationale Consultative des
Droits l’Homme (CNCDH) a souligné dans son avis du 4 février 2010 sur le Défenseur des droits les
distinctions entre ces deux approches : « la médiation est l’intervention d’un tiers, par la voie du dialogue,
de l’incitation et du compromis, pour faciliter la circulation d’informations ou le règlement d’un différend.
Le contrôle permet de surveiller la bonne application d’une règle de droit et d’en sanctionner la violation ».
Si le contrôle général venait à disparaitre c’est l’effort plus général de transformation des lieux de privation
de liberté qui s’en trouverait affaibli.
Maintenir la spécialisation du contrôle des lieux de privation de liberté.
Les lieux de privation de liberté sont par nature des espaces particuliers nécessitant des mécanismes de
contrôle spécifiques et autonomes. Matériellement et juridiquement clos, les prisons, les centres hospitaliers,
les zones d’attente, les locaux de garde à vue et les centres ou locaux de rétention administrative se
dissimulent au regard de la société et fonctionnent sur trop de points de manière exorbitante du droit
commun. A ce titre, il ne suffit pas, dans ces lieux, de s’attacher à régler les éventuels conflits qui peuvent
opposer administrés et pouvoirs publics. L’avancée du droit dans ces espaces nécessite une vigilance de tous
les instants. Les changements à l’intérieur de ces murs exigent un dialogue constant entre l’organe de contrôle
et les administrations des lieux de privation de liberté. La fonction de contrôle des lieux de privation de
liberté requiert le développement de compétences particulières. Savoir détecter les atteintes aux droits de
l’Homme lors de la visite d’une prison ou d’un centre de rétention administrative ou de lieux où des personnes
sont hospitalisées sans leur consentement demande une expertise. Apprendre à écouter personnels et
personnes privées de liberté le requiert tout autant. Seule la spécialisation d’une autorité de contrôle
indépendante peut permettre de prévenir les traitements cruels, inhumains ou dégradants qui peuvent y avoir
cours et de faire évoluer les conditions dans lesquelles des hommes, des femmes et des enfants sont
aujourd’hui privés de leur liberté.
Or, on a tout lieu de craindre que le Défenseur des droits ne puisse maintenir le niveau de spécialisation
nécessaire concernant la privation de liberté. La CNCDH soulignait d’ailleurs dans une note du 20 mai 2008
relative au Défenseur des droits le « risque de dilution des mandats spécifiques attribués à des institutions
spécialisées, dans une institution polyvalente et tentaculaire » alors que cette spécialisation est gage d’une
meilleure réponse aux besoins de protection des droits de l’Homme, notamment en matière d’enfermement :
la pertinence du contrôle tient en grande partie à la compétence des contrôleurs et donc à la spécialisation des
fonctions de cette instance.
· Parce que le Contrôle général des lieux de privation de liberté, instance encore jeune, fonctionne et
fournit un travail unanimement reconnu ;
· Parce que le respect des droits de l’homme dans l’ensemble des lieux de privation de liberté de notre
pays requiert une mission indépendant et spécifique ;
· Parce que la prévention de la torture, des peines et traitements inhumains ou dégradants ne doit pas
être confondue avec le travail de médiation et de résolution des litiges entre citoyen et
administrations ;
· Parce que, enfin, l’incorporation du Contrôle général au sein du Défenseur des droits mettra à mal
l’efficacité d’un système de contrôle indépendant des lieux de privation de liberté dont notre pays a
besoin ;
nous demandons à l’ensemble des parlementaires de rejeter cet amendement adopté par la
commission des lois de l’Assemblée Nationale et de maintenir l’existence du Contrôleur
général des lieux de privation de liberté.
ANVP (Association Nationale des Visiteurs de Prison) – CGT-PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) – CIMADE –- FARAPEJ (Fédération des Associations Réflexion Action Prison Et Justice) –- GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) – LDH (Ligue des Droits de l’Homme) – SAF (Syndicat des Avocats de France) – SM (Syndicat de la Magistrature) – SNEPAP-FSU (Syndicat National de l’Ensemble des Personnels de l’Administration Pénitentiaire) –- SNPES-PJJ-FSU (Syndicat National des Personnels de l’Education et du Social – Protection Judiciaire de la Jeunesse) –- UGSP-CGT (Union Générale des Syndicats Pénitentiaires) –
Signataires suivants :
ADDE (Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers) – ANJAP (Association nationale des Juge de l’Application des Peines) – Aumônerie Catholique des Prisons – Arc en ciel rennes – Europe Ecologie / les Verts – FSU (fédération syndicale unitaire) – Fédération CGT Santé et Action Sociale – PS (Parti socialiste) – FNARS (Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale) – PCF (Parti Communiste Français) – SNES-FSU (syndicat national des enseignants du second degré) – SNU-CLIAS-FSU (Union nationale unitaire des Syndicats des collectivités locales, du ministère de l’Intérieur, et des Affaires Sociales) – SNESUP-FSU (syndicat national de l’enseignement supérieur) – SUD Santé sociaux – USP (Union Syndicale de la Psychiatrie) – Union Syndicale Solidaires – UFRAMA (Union nationale des fédérations régionales des associations de maisons d’accueil de familles et proches de personnes détenues)…