Plan de lutte contre la radicalisation violente

Jeudi 5 février, le SNEPAP-FSU était convié par la chancellerie à une présentation, par la Garde des Sceaux et les directrices/directeurs d’administration centrale, d’un plan de lutte contre la radicalisation violente. L’essentiel des mesures était déjà connu : 950 créations d’emplois et 181 millions d’euros y seront spécialement consacrés pour le Ministère de la Justice entre 2015 et 2017. La Ministre de la Justice nous a assuré que ces moyens ne seraient pas issus d’une réorientation des budgets déjà arrêtés pour le triennal, et qu’il s’agissait bien d’un abondement ; par expérience, il conviendra d’être vigilant.

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Toutes les directions sont concernées : la Protection Judiciaire de la Jeunesse (avec notamment 82 emplois de psychologues, 18 d’éducateurs, 59 de « référents laïcité-citoyenneté »), la Direction des Services Judiciaires (283 emplois, comprenant notamment 114 magistrats et 114 greffiers, avec un abondement budgétaire de 138 millions d’euros pour la sécurisation des sites judiciaires, les frais de justice, le renforcement des moyens de la formation) ou encore le Secrétariat Général (15 emplois sur des missions de soutien).

Comme toujours, c’est l’Administration Pénitentiaire qui absorbe l’essentiel des moyens, avec 483 créations d’emplois et 135 millions d’euros de crédits supplémentaires (hors masse salariale) . Mais pour quel usage ?

La sécurisation des établissements pénitentiaires

237 créations d’emplois sont budgétées pour la sécurisation des établissements. Comme de coutume, les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) n’ont pas été mentionnés.

Les emplois concernent les personnels de surveillance pour des établissements dits « sensibles » (maisons centrales, établissements de la région parisienne…), une nouvelle équipe cynotechnique, des traducteurs de langue arabe.

Les moyens seront consacrés à l’acquisition de matériel de sécurité statique : brouilleurs pour téléphones cellulaires, portiques etc.

Le renseignement pénitentiaire

Un peu plus de 80 emplois seront créés pour renforcer le renseignement pénitentiaire : 44 emplois d’officiers, 22 postes d’informaticiens, des analystes veilleurs (veille sur les réseaux sociaux), des personnels en administration centrale et en DISP (dont 14 CPIP).

La prise en charge des publics

La prise en charge des publics, qui caractérise pourtant la seule approche de fond, reste comme souvent le parent pauvre avec 123 créations d’emplois.

Ces personnels seront prioritairement affectés sur des sites de la région parisienne (la juridiction spécialisée dans les questions de terrorisme, et par ricochet les établissements pénitentiaires principalement concernés, sont établis à Paris). L’essentiel des personnels sera affecté sur les 5 quartiers , quatre nouveaux quartiers rejoignant celui de Fresnes, dédiés aux personnes dites « radicalisées ».

Il n’est fait aucune mention de renforts pour la filière insertion et probation… ce sont des binômes éducateurs et psychologues que l’administration entend constituer sur lesdits quartiers, mais aussi ailleurs sur le territoire. Recrutements par voie contractuelle naturellement.

Le SNEPAP-FSU ne peut que se désoler d’une telle décision, laquelle n’a fait l’objet d’aucune concertation.

La filière insertion et probation parvient à peine, après plusieurs décennies, à se construire une identité professionnelle autour des Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation… anciens ASS et éducateurs. Retour vers le futur.

L’arrivée de nouveaux personnels contractuels, dans un contexte de reconnaissance supposée du savoir-faire de la filière insertion et probation et d’une supposée lutte contre les emplois précaires, illustre l’incapacité de notre administration à se maintenir dans une démarche cohérente. Que se passera-t-il lorsque l’actualité desserrera son étau et que ces contrats arriveront à leur terme ?

Parallèlement, un effort sera consacré à la formation initiale et continue. L’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire (ENAP) se verra renforcée de 9 emplois et d’un budget de 8 millions d’euros supplémentaires.

Une antenne de l’ENAP, réservée à la formation continue, principalement pour les personnels de la région….parisienne, sera ouverte à Paris.

Pas de locaux ad hoc, c’est Fleury-Mérogis qui fournira le gîte et le couvert. Retour vers le futur II.

Comme déjà annoncé, une recherche-action, menée avec une association de victimes d’actes de terrorisme, doit débuter dans deux départements de la région parisienne. L’objectif ? Évaluer les problématiques, définir des prises en charge et des modalités d’intervention adaptées. Si le SNEPAP-FSU soutient cette démarche, il a néanmoins alerté le Cabinet de la garde des Sceaux sur le choix des sites… l’un d’entre eux voyant déjà les personnels d’insertion et de probation, qui seront concernés par cette recherche-action, sollicités sur une autre….recherche-action !

Elle devra aussi permettre de définir les critères qui conduiront à l’orientation des personnes vers les quartiers dédiés, à propos desquels le SNEPAP-FSU reste toujours sceptique et réservé.

Le SNEPAP-FSU a d’ailleurs demandé à ce que le rapport réalisé par l’Inspection des Services Pénitentiaires, sur le quartier dédié de Fresnes, dont nous savons qu’il a été rendu, soit communiqué aux organisations professionnelles.

Une dépêche AFP du 28 janvier avait évoqué la mise en place de modules de « laïcité », de « rappel des valeurs républicaines et citoyennes, voire d’ « histoire des religions ». Si l’histoire des religions n’a pas été évoquée, les modules sont bien à l’ordre du jour, et ce pour les personnes détenues de moins de 25 ans comme pour tous les nouveaux arrivants, dès la phase d’accueil.

Au-delà du fait qu’ils n’ont fait l’objet d’aucune discussion, ni sur le fond, ni sur la forme, alors même que nous rencontrions le Cabinet le 26 janvier, le SNEPAP-FSU émet les plus grandes réserves quant au caractère obligatoire de ces modules. De plus, les imposer aux personnes détenues dès la phase d’accueil relève d’une réelle méconnaissance du temps de vie carcérale. Dans les 8 jours qui suivent leur placement en détention, les personnes sont souvent déboussolées et accaparées par d’autres priorités ; elles sont en outre sollicitées par nombre d’acteurs et de services : elles ne seront pas réceptives et la méthode retenue rendra difficile l’adhésion et l’échange.

Les personnels d’insertion et de probation, qui ont pour consigne d’accentuer leurs efforts sur la mise en œuvre immédiate d’un parcours d’exécution de la peine, avec aménagement de peine et liberté sous contrainte en ligne de mire, ne le savent que trop bien ; peut-être aurait-il fallu leur demander leur avis…

Que ces derniers se rassurent néanmoins, ils n’auront pas à animer ces modules, aux contours et contenus bien flous, qui devraient en effet relever de l’Education Nationale. Nos collègues, déjà bien sollicités quant à leur propre champ d’intervention, apprécieront sur la forme comme sur le fond.

Le SNEPAP-FSU regrette qu’une approche de fond n’ait pas été envisagée. Il ne s’agit pas de nier notre part du travail, ni celle de notre responsabilité, et encore moins la spécificité des problématiques rencontrées dans les établissements et les services pénitentiaires. Mais les valeurs républicaines et la citoyenneté sont des questions travaillées dans le temps. Elles sont partagées, certainement pas imposées, et très difficilement sujettes à « piqûres de rappel » comme l’expression a été utilisée par la Directrice de l’Administration Pénitentiaire. Oui, nous devons être particulièrement attentifs à la prise en charge des personnes engagées dans un processus de radicalisation violente. Mais il nous faut plus que tout être attentifs aux personnes qui pourraient être amenées à porter un intérêt au discours de ces dernières…

L’amélioration des conditions de détention, l’accès facilité à l’emploi et aux activités socio-culturelles, un véritable droit de consultation et d’expression pour les détenus, des conditions d’intervention et de travail décentes pour l’ensemble des personnels, des moyens donnés à tous les acteurs de droit commun pour que la citoyenneté prenne toute sa place en détention. Le voici le premier plan à mettre en œuvre.

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