Après Pornic, les SPIP livrés aux vautours…
La journée du 26 mai 2011 a marqué un temps fort de la mobilisation dans les SPIP. Les régions de
Strasbourg, Lille et Rennes notamment ont ainsi vu des rassemblements conséquents devant les DISP
pendant que dans toutes les autres régions se déployaient diverses initiatives et actions locales.
L’été
approchant, les quatre groupes de travail ministériels (celui mené par l’Inspection Générale des Finances
et des Services Judiciaires ; ceux relatifs à la question des SPIP menés par Messieurs Clément et Mounaud,
mais aussi Messieurs Camu et Lemaire ; celui traitant de l’application des peines) vont présenter leurs
conclusions au Ministre dans les jours qui viennent, si ce n’est déjà fait pour certains.
Pour le SNEPAP-FSU, nul doute que les conclusions de ces travaux ne pourront ignorer l’abattement des
personnels des SPIP face à l’accroissement conséquent des charges de travail au cours des derniers mois,
tant celui-ci est patent. Les représentants des personnels, chargés des situations individuelles, en
attestent : jamais un tel épuisement ne s’est fait sentir dans les SPIP… La première proposition qui doit
logiquement s’imposer est celle d’un recrutement conséquent en personnels de toutes catégories et de
toutes filières ! Malheureusement, on le constate encore une fois et malgré les démonstrations des
personnels de terrain, des organisations professionnelles et des divers rapports institutionnels, le pouvoir
exécutif reste pour le moment sourd et hermétique à l’impérieuse nécessité d’aborder la question des
moyens.
Dans une déclaration du 28 janvier dernier, suite à l’affaire de Pornic, Jean-françois COPE, secrétaire
général de l’UMP, déclarait que la réflexion sur la justice devait porter sur 3 axes : l’ouverture du débat sur
l’application des peines, l’augmentation des places de prison dont le manque était selon lui de 20000, et
des moyens pour le suivi des PPSMJ.
A l’heure où les différentes missions vont rendre leurs conclusions sur l’exécution des peines,
où le rapport du député Ciotti préconise l’augmentation de 20 000 places de prison,
cherchez l’erreur !
Ainsi, pour le SNEPAP-FSU, devant l’incapacité de notre Ministère à obtenir des moyens pour nos
missions, il est plus que nécessaire de maintenir et d’amplifier la pression auprès des différents élus et
notamment des parlementaires qui, en période de pré-campagne électorale, ont un pouvoir indéniable
sur les budgets à venir, notamment ceux qui seront construits à l’Automne.
Pour que la question des moyens ne passe pas aux oubliettes !
Car pendant ce temps, certains profitent des évènements de Pornic pour déjà mettre en scène la
campagne électorale de 2012… Ainsi, le député Eric CIOTTI, le « monsieur plus sécuritaire de l’UMP », a
remis au Président de la République, le 14 juin dernier, le rapport de la mission qu’il a réalisée sur les
services judiciaires et pénitentiaires. La teneur de celui-ci est pour le moins indigeste, notamment pour
l’avenir des SPIP et de l’exécution de la peine…
Le rapport « Ciotti »
Dans son rapport, le député des Alpes-Maritimes fixe plusieurs objectifs pour améliorer le
fonctionnement de la chaîne pénale.
S’il part du principe évident de l’effectivité des peines comme préalable au bon fonctionnement de la
chaîne pénale, M. Ciotti pose en introduction le constat d’un sentiment de « défiance des citoyens envers
la Justice ». C’est aussi cet argument que le gouvernement utilise pour instaurer des jurés populaires dans
les procédures de jugement ou d’application des peines dans le projet de loi en discussion à l’Assemblée
Nationale en ce moment. M. Ciotti tire cette affirmation d’un sondage CSA-Ifop du 11 février 2011 qui
indique que 72% des Français considèrent que la Justice fonctionne mal en France. Il oublie de mettre ce
résultat en rapport avec le fait que, dans le même sondage, 55 % des Français déclarent faire confiance
en l’institution de la Justice et que, s’ils sont dubitatifs sur son fonctionnement, c’est que 77% d’entre eux
estiment qu’elle n’a pas les moyens suffisants pour faire correctement son travail. Ce même sondage
montre, en revanche, que seulement 26% des français accordent leur confiance à leurs élus… A bon
entendeur…
Pour le SNEPAP-FSU, si la loi doit être connue de tous, et le système judiciaire accessible et
compréhensible par chacun, une peine doit être effective non pas pour atténuer la défiance des citoyens
à l‘égard de la Justice mais bien pour que le délinquant en comprenne le sens et évite de réitérer les actes
illégaux… Voilà l’objectif « social » de la peine…
De même, le rapport Ciotti assigne à la peine une fonction intimidatrice : « La peine vise d’abord à
l’intimidation collective. La menace d’une peine d’une grande sévérité doit dissuader les délinquants de
commettre une infraction. » De tels propos révèlent une méconnaissance profonde du processus
délinquant. Ainsi, pour les études réalisées au sujet de la récidive par les chercheurs P. Smith, C. Goggin
et P. Gendreau (Effets de l’incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive : effets généraux et
différences individuelles) : « Les politiques de justice pénales fondées sur la croyance selon laquelle une
"ligne dure" permet de réduire la récidive ne sont pas appuyées par des données empiriques. » Cette
recherche documentaire a produit 111 études qui examinaient le lien entre les sanctions pénales et le
taux de récidive. D’après les conclusions générales, les sanctions pénales plus rigoureuses n’ont pas
d’effet dissuasif sur la récidive. Contrairement aux sanctions communautaires, l’incarcération est liée à
une augmentation de la récidive. Une analyse plus poussée des études sur les peines d’emprisonnement a
permis de constater que les peines longues avaient donné lieu à une augmentation du taux de récidive.
Les peines courtes, soit celles de moins de six mois, n’ont eu aucun effet sur le taux de récidive, ni en
positif, ni en négatif, mais les peines de plus de deux ans ont entraîné une augmentation moyenne de 7%
du taux de récidive.
C’est pour cela que le SNEPAP-FSU a toujours revendiqué le développement des alternatives à
l’incarcération, la reconnaissance de celles-ci comme de véritables sanctions, et qu’il défend un recours
moindre aux courtes peines d’emprisonnement, inutiles en matière de prévention de la récidive.
Toutefois, si certains remettent en question ces études mettant à mal le lien entre une répression accrue
et une baisse de la délinquance, nombreux s’accordent à dire qu’un effet dissuasif de la peine passe par la
certitude de son effectivité. Pour cela, ce n’est pas tant sur la question d’une réponse pénale plus sévère
que sur celle des moyens affectés à cette réponse qu’il faut se pencher prioritairement, tant en matière
de ressources humaines que d’organisation des services. C’est en ce sens que le recrutement de
personnels en nombre suffisant est à ce jour primordial, la question de l’organisation des services
donnant déjà lieu à des travaux depuis 2008.
En partant de constats pour le moins erronés, c’est donc sans surprise que l’on découvre que M. Ciotti
préconise des solutions inadaptées (mais en tous points conformes aux 14 propositions de l’UMP sur
l’application des peines). Ainsi il propose l’augmentation du parc immobilier de 20 000 nouvelles places de
prison ou tente par de nombreuses propositions, comme il l’avait fait au moment des débats sur la loi
pénitentiaire, de faire passer les aménagements de peine comme des faveurs accordées, voir comme une
non-exécution des peines. Dans cet esprit, il limite les aménagements de peine aux personnes présentes à
l’audience ou revient sur le principe de l’automaticité des aménagements de peines introduites par la loi
pénitentiaires (propositions 37 et 38). Paradoxalement, il propose néanmoins le développement des
mesures de TIG, de semi-liberté, de placement extérieur mais ignore la question de la libération
conditionnelle dont les résultats sur la récidive ont pourtant été démontrés.
De plus, en déclarant : « Le problème de ces aménagements, c’est que les victimes et plus globalement les
citoyens ne comprennent pas qu’une peine prononcée publiquement au nom du peuple français puisse-têtre
transformée dans le secret d’un cabinet. Il nous faut donner plus de transparence à ce système pour
une meilleure acceptation », M. Ciotti tente de faire passer individualisation d’une peine préalablement
fixée par la loi pour un « arrangement entre amis ». Pour cela, il souhaiterait faire du Parquet le
responsable de l’exécution des peines, et du JAP celui qui homologuerait la décision d’aménagement de
peine. (Proposition n°24 : « confier au parquet la pleine et entière responsabilité de l’exécution des peines.
C’est à lui de donner des instructions au SPIP. Recentrer le JAP sur le suivi des détenus en cours de peine et
sur les contentieux intervenants entre le parquet et le condamné ».) La raison selon laquelle le Parquet,
soumis au pouvoir exécutif, pourrait individualiser la peine, mieux que le JAP, magistrat indépendant,
demeure assez mystérieuse, si ce n’est que celui-ci a le pouvoir de la ramener à exécution et permettrait à
l’exécutif de garder la main sur un sujet sensible à quelques mois des présidentielles ?
Le SNEPAP-FSU dénonce la confusion qui règne dans ce rapport où « peine » est allègrement confondue
avec « prison », où, sous couvert de mettre fin au prétendu laxisme des magistrats, qui n’ont pourtant
jamais autant incarcéré qu’aujourd’hui, on tente de nous faire passer de vieilles recettes qui ont
démontré leurs lacunes.
Sans revenir sur les préconisations les plus largement commentées par la presse, deux propositions
traitant de la question des SPIP sont particulièrement inacceptables :
o Proposition n° 26 : Placer sous l’autorité du chef d’établissement pénitentiaire les personnels
d’insertion et de probation en milieu fermé.
o Proposition n° 27 : Réinstaller les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation dans les palais de
justice.
Ces deux préconisations signent ni plus ni moins l’abrogation de la réforme de 1999 portant création
des SPIP et provoquent un considérable bond en arrière. Reprenant les propositions passéistes et
corporatistes des tenants du « SPIP-Show », ces préconisations relèvent, pour le SNEPAP-FSU, de
propositions d’arrière-garde. La proposition d’instaurer un directeur territorial des services pénitentiaires
chargés de piloter les services pénitentiaires locaux (proposition n°30), derrière un prétendu souci de
coordination, ne fait en définitive que dépecer les DSPIP de leur rôle en matière de prévention de la
délinquance et de politique de la Ville à l’échelon départemental. Les quelques postes fonctionnels de DSP
ainsi glanés viendraient alors satisfaire les inspirateurs intéressés de ces propositions tant corporatistes
qu’artificielles. En s’ajoutant aux propositions relatives à la délégation à l’associatif de la gestion des TIG
et du pré-sententiel (proposition 18 et 48) et au recentrage des CPIP sur les suivis qualifiés de plus
« dangereux et de récidivistes » (propositions n°50), M. Ciotti supprime le rôle central des SPIP en matière
d’exécution de toutes les peines. Ces services ont pourtant fait leurs preuves et sont reconnus de tous
pour leur compétence en matière d’exécution des peines.
Pour le SNEPAP-FSU, ce rapport indigeste sur de nombreux points, n’apporte aucune réponse novatrice
sur la question de l’exécution de peines. Pire, il revient sur des dispositions très récentes dont aucun
bilan n’a à ce jour été fait, comme les dispositions liés aux aménagements de peines dans la loi
pénitentiaire. Le SNEPAP-FSU appelle le Ministère à s’opposer fermement à de telles orientations,
appelle les responsables politiques à ne pas céder à la tentation de la surenchère.
De ce rapport, que restera-t-il ? Ce que voudront en faire les politiques, tout ou rien… Mais les élus, de
quelque horizon soient-ils, auront leur mot à dire, notamment dans le cadre de l’élaboration des
programmes électoraux en vue de 2012.
Afin de faire fléchir le gouvernement et le ministère de la justice sur nos légitimes revendications, le
SNEPAP-FSU appelle l’ensemble des sections locales et des adhérents à poursuivre et amplifier leurs
actions de sensibilisation et d’information auprès des élus locaux et parlementaires (députés, sénateurs,
députés européens, conseillers généraux…) de leur circonscription. Ceci peut se faire dans le cadre
d’invitations des parlementaires dans les SPIP, et/ou dans le cadre de forums publics en lien avec les
autres professionnels de la justice. Déjà le SNEPAP-FSU rencontre les différents partis politiques afin de
les sensibiliser aux problématiques des SPIP dans le cadre de l’élaboration de leurs programmes respectifs
et faire valoir ses arguments sur la place incontournable des SPIP au sein de la chaîne pénale.
Parce que la période estivale est, dans l’esprit du ministère et du gouvernement, une parenthèse dans
la mobilisation de contestation, parce que la campagne présidentielle va déterminer les
positionnements des partis et de leur candidat, parce que les lois de finances vont être discutées dès la
rentrée de l’automne 2011, et surtout parce que le pouvoir législatif peut faire infléchir l’exécutif,
IL EST IMPERATIF ET NECESSAIRE DE MAINTENIR
LA PRESSION SUR LES PARLEMENTAIRES !
Paris, le 28 juin 2011.