Du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines au projet de loi tendant à renforcer les sanctions pénales…

Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, devenu projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales, vient d’être adopté par l’Assemblée nationale

en première lecture. Le SNEPAP-FSU dresse une première analyse de ce texte, suite aux amendements qui ont été retenus, et avant son examen au Sénat au cours de la semaine du 23 juin.

– Un texte plus cohérent

Des dispositions nouvelles ressortent de l’examen du texte à l’Assemblée nationale avec, en premier lieu, l’alignement du régime des condamnés récidivistes sur celui des condamnés « primaires »

ou simples réitérants.
Le SNEPAP-FSU accueille positivement la suppression des dispositions qui restreignaient l’accès aux crédits de réduction de peine, réductions supplémentaires de peine et

aménagements de peine pour les personnes détenues en état de récidive légale. A l’inverse, nous regrettons que l’alignement s’opère « à la baisse » s’agissant des aménagements de peine avant écrou

(article 723-15 du code de procédure pénale) : le seuil est désormais fixé à un an pour tous, alors même que le Parlement adoptait unanimement, en 2009, l’extension de cette possibilité à 2 ans pour

les condamnés primaires. En outre, le Juge de l’Application des Peines (JAP) pourra, dans ce cadre, aménager sous certaines conditions les peines d’emprisonnement dont le quantum cumulé serait supérieur à 1 an et inférieur à 2 ans…

Résultat : une personne condamnée à une seule peine de 13 mois d’emprisonnement ne peut voir sa peine aménagée, au contraire d’une personne condamnée à 4 reprises à des peines de 4 mois

d’emprisonnement avec potentielle révocation de sursis de 7 mois… Ou comment faire simple lorsque l’on peut faire compliqué !

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Au rang des nouvelles avancées, nous notons également la fin des expertises psychiatriques obligatoires pour les personnes incarcérées exécutant une peine pour laquelle le Suivi Socio-Judiciaire

(SSJ) est encouru : le SSJ devra avoir été prononcé. Cette disposition permettra notamment de mettre un terme aux expertises injustifiées et coûteuses et à l’impossibilité de prononcer des permissions de sortir ou aménagements de peine, en fin de peine ou pour des peines courtes, du fait d’expertises irréalisables dans les délais impartis.

S’agissant de la contrainte pénale, le SNEPAP-FSU est satisfait de constater que ses modalités d’exécution seront (selon le texte issu de l’Assemblée nationale), examinées dans le cadre d’un

débat contradictoire
, garant des libertés individuelles et du respect des droits de la défense. Le JAP y statuera sur les obligations, restrictions et interdictions proposées par le SPIP au terme de la phase

d’évaluation : la personne condamnée est ainsi placée au coeur de cette mesure.

Parallèlement, nous relevons l’apparition de certaines dispositions, qui, à défaut de reconnaître clairement le caractère régalien des missions du SPIP, sont néanmoins des signes positifs de son affirmation comme acteur central en matière d’exécution des mesures pré et post-sentencielles.

Ainsi, dans le cadre de la contrainte pénale, l’évaluation de la situation de la personne sera formellement confiée au SPIP. De même, s’agissant de l’ajournement de peine aux fins d’investigation sur la personnalité, ou la situation matérielle, sociale et familiale, l’investigation sera confiée, selon les cas, au SPIP ou au secteur associatif habilité. (initialement, seul le second était visé). Enfin, le SPIP sera membre de droit de la Commission d’Application des Peines. (CAP).

De plus, nous notons le renforcement de la responsabilité de l’ensemble des acteurs en matière d’accès des personnes sous main de justice aux dispositifs de droit commun. Pour les personnes

incarcérées, le législateur a prévu un dispositif de conventionnement auquel sont associés « des objectifs précis », « des résultats attendus, et faisant l’objet d’une évaluation régulière ». Le SNEPAP-FSU soutient ces dispositions visant à ce que les services de l’Etat et des collectivités territoriales prennent la place qui doit être la leur auprès des personnes condamnées, afin que ces dernières accèdent, de manière effective et non discriminante, aux mêmes droits que les autres citoyens.

D’autres dispositions du projet de loi, telles que la facilitation du versement volontaire des dommages-intérêts par la personne condamnée via le fonds de garantie des victimes, la suspension de peine pour les femmes détenues enceintes, voire l’apparition de la justice restaurative, sont autant d’innovations qui méritent d’être signalées, même si elles peuvent faire figure de cavaliers législatifs peu liés au « coeur » de la réforme.

– Un texte sur la réserve

Le SNEPAP-FSU accueille positivement l’extension de la contrainte pénale à l’ensemble des délits ; au terme d’un arbitrage interministériel, elle était jusque là réservée à ceux pour lesquels la peine encourue est inférieure ou à égale à 5 ans. Nous regrettons toutefois que cette disposition n’entre en vigueur qu’au 1er janvier 2017, même si, officiellement, il s’agira de permettre aux importantes

promotions de Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation de prendre leur poste…

Rappelons que la contrainte pénale visait initialement les auteurs pour lesquels la personnalité et les circonstances de la commission des faits justifiaient un accompagnement socio-éducatif individualisé

et renforcé. Désormais, elle concernerait les auteurs pour lesquels « la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale ainsi que les faits de l’espèce » justifieraient « un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu »… En voulant bien faire, par la mise en exergue des éléments de la situation socio-professionnelle, la commission des lois a pris le risque de renforcer les ressorts, déjà

puissants, d’une « justice de classe ».

Selon le projet de loi issu de l’Assemblée nationale, le SPIP devra désormais évaluer la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée à une mesure de

contrainte pénale
(il s’agissait initialement de la personnalité et de la situation de la personne)… Voilà une vision bien pauvre et réductrice au regard des sept grands champs d’évaluation identifiés par la

recherche internationale en matière de prévention de la récidive et évoqués, comme besoins criminogènes, par les Règles Européennes de la Probation (REP) en matière d’évaluation des risques, besoins et réceptivité (RBR). Si la situation familiale et conjugale en fait partie, l’environnement relationnel (notamment les pairs), les loisirs, les attitudes et valeurs pro-criminelles, les traits de personnalités anti-sociaux, les addictions et l’insertion professionnelle doivent également être pris en compte.

Par ailleurs, concernant le Sursis avec Mise à l’Epreuve (SME), des obligations impliquant un accompagnement soutenu (obligation de soins, d’exercer une activité professionnelle, de suivre une formation ou un enseignement…) en sont retirées, sauf lorsqu’une peine mixte (partie détention, partie SME) est prononcée. L’objectif est donc « d’assécher » le SME pour n’en faire qu’une mesure de contrôle (interdiction de séjour, obligation d’indemniser la victime etc).

Si le législateur semble avoir compris le non-sens du maintien du SME en parallèle de la contrainte pénale, il ne va pourtant pas au bout de sa logique. Bien plus, il va placer le SPIP et les personnes

suivies dans des situations inconfortables et contre-productives… Alors que le projet de loi reconnaît, dans le cadre de la contrainte pénale, que le SPIP et le JAP sont les plus à même de cibler les facteurs de

récidive, il renvoie au tribunal correctionnel l’entière responsabilité du choix entre SME et contrainte pénale, choix qui ne pourra reposer sur aucune évaluation…Que se passera-t-il si, en cours de SME, une

problématique nécessitant un accompagnement soutenu venait à être identifiée ? Une mesure vide de sens s’exécuterait ainsi sur plusieurs années, sans aucun levier d’action pour les professionnels.

D’autant plus que, parallèlement, d’autres dispositions tendent à favoriser une prise en charge « souple » du SME : possibilité de révoquer partiellement un SME à plusieurs reprises, possibilité de

révoquer partiellement le SME en fin de mesure, fin de l’obligation générale de demander l’autorisation préalable au JAP pour tout déplacement à l’étranger.

Pour le SNEPAP-FSU, le SME doit être supprimé et la contrainte pénale doit intégrer les dispositifs existants (suivi simple ou renforcé, travail d’intérêt général, surveillance électronique, semi-liberté etc). Ces conditions sont incontournables pour construire une peine

de probation lisible, souple et évolutive et pour éviter les impasses qui ne manqueront pas d’entraver la mise en oeuvre de la contrainte pénale telle qu’elle est conçue aujourd’hui.

Enfin, c’est avec un murmure à peine audible que l’Assemblée nationale a accueilli la libération sous contrainte, n’en modifiant aucune disposition si ce n’est la possibilité pour le magistrat d’entendre

la personne condamnée, ou son avocat, au cours de la CAP
. Les hésitations du législateur entre CAP et débat contradictoire deviennent problématiques. En outre, le rejet de la libération sous contrainte

n’étant toujours pas encadré, la politique d’aménagement de peine ne sera sans doute pas bouleversée…

– Un texte qui dérape

Dans le cadre de l’orientation de la politique d’exécution des peines et de prévention de la récidive (animation, coordination, échanges et connaissance mutuelle, groupes de travail etc.), le législateur

entend associer plus étroitement les professionnels de l’exécution des peines et les acteurs locaux des conseils locaux, départementaux, intercommunaux ou métropolitains de sécurité et de prévention de

la délinquance, voire des groupes de travail ad hoc constitués par ces instances.

Pour le SNEPAP-FSU, si l’association plus étroite des acteurs locaux est positive et demande à être martelée, ces dispositions prévoyant l’échange de données individuelles sont particulièrement dangereuses et stigmatisantes. Elles constituent une extension inédite du

contrôle social, au profit d’instances dont le périmètre peut être simplement déterminé par le règlement intérieur des collectivités territoriales auxquelles elles sont adossées ! Cette dérive gravement attentoires aux libertés publiques et à la séparation des pouvoirs, que même la frange sécuritaire de l’UMP n’avait osé envisager, devra impérativement être corrigée par la Haute Assemblée.
Si ces dispositions devaient être maintenues et franchissaient le barrage du Conseil Constitutionnel, elles seraient particulièrement inquiétantes quant à la nature et l’usage des informations partagées dans ce cadre (casier judiciaire, expertises…) ainsi qu’à la manière dont

elles seront interprétées. Le SNEPAP-FSU met en garde les parlementaires contre la tentation de créer des « shérifs » à la française.

Second dérapage : l’extension du régime de la surveillance judiciaire à l’ensemble des personnes détenues. Dans son projet d’article 721-2 du code de procédure pénale, le législateur prend soin de ne

pas mentionner les termes de « surveillance judiciaire » ou de « mesure de sûreté »…mais il suffit de se référer à l’article 723-29 du même code pour ne plus avoir de doute. Actuellement, un tribunal de l’application des peines peut décider, pour les infractions les plus graves et sous certaines conditions (risque élevé de récidive), de mettre à l’épreuve une personne libérée, alors que sa peine est terminée, pour une durée équivalente au crédit de réduction de peine et aux réductions supplémentaires de peine qui lui ont été octroyées au cours de sa détention.

Cette possibilité est désormais étendue à toutes les personnes détenues, dès lors qu’elles n’auront pas bénéficié d’une mesure d’aménagement de peine. Sous prétexte de lutter contre les sorties sèches, et conscient du peu d’intérêt de son dispositif de libération sous contrainte dont le rejet n’est absolument pas encadré, le législateur entend donc généraliser les cas de prolongation de la peine…après la fin de la peine. Au lieu de consacrer les pires dérives des législatures précédentes, le législateur aurait mieux

fait de réellement favoriser les aménagements de peine (éligibilité à 2 ans) et de créer une libération conditionnelle automatique ; cette automaticité devant s’accompagner de la suppression du système

de réductions de peine. Cela permettrait de recrédibiliser la peine d’emprisonnement, d’introduire de l’équité et de favoriser la planification du suivi et la préparation d’un projet de sortie.

Autre disposition extrêmement regrettable : le texte voté par l’Assemblée nationale prévoit désormais qu’une peine d’emprisonnement pourra être convertie en mesure de…contrainte pénale. Le législateur semblait avoir compris l’intérêt de créer une peine de probation indépendante de la peine d’emprisonnement. Sitôt fait, il s’empresse néanmoins d’imaginer une conversion qui en affaiblit la portée et la consacre en définitive comme une « sous-peine », un aménagement de la peine « de référence », qui demeure encore et toujours l’emprisonnement. Cet amendement, bien mal inspiré, est

particulièrement discutable au regard de « l’autorité de la chose jugée » puisqu’il autorisera pour la première fois le JAP à modifier purement et simplement la nature de la peine prononcée. Pire, il

permettra surtout aux juges du fond de continuer de prononcer de courtes peines d’emprisonnement, en laissant la responsabilité au JAP et au SPIP d’écoper… Paroxysme de l’incohérence, une peine

d’emprisonnement prononcée dans le cadre d’une peine mixte (partie ferme, partie SME) pourrait également être convertie en contrainte pénale… En l’absence de toute évaluation et articulation, la personne condamnée bénéficierait d’un suivi soutenu pour la partie convertie de sa peine et d’un simple suivi de contrôle dans un second temps !

L’Assemblée nationale propose un texte qui, s’il est amélioré sur certains points, reste encore trop en retrait, voire en net recul sur le droit existant.

Les professionnels espéraient une simplification et un renforcement de la cohérence du système de l’exécution des peines. Or, le mille-feuille pénal continue d’entasser les couches. Un pas en avant, deux pas en arrière…où comment, à terme, réinventer l’existant…

C’est désormais au tour du Sénat d’examiner le texte. Le SNEPAP-FSU n’a pas manqué, à l’occasion d’une rencontre avec le rapporteur du texte au Sénat, de soulever toutes les incohérences. Le Parlement peut encore faire de cette loi une réforme pénale d’ampleur.

Paris, le 13 juin 2014

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