Référentiel, ou comment dynamiter le métier de CPIP
Le jeudi 17 octobre dernier, la DAP conviait le SNEPAP-FSU à une réunion de présentation des travaux du groupe de travail chargé d’élaborer le référentiel métier des CPIP. Dans la lignée du protocole du 9 juillet 2009, ces travaux avaient été engagés en 2011 entre l’administration et le SNEPAP-FSU, jusqu’à ce que les organisations professionnelles représentatives au seul comité technique de l’Administration Pénitentiaire ne se saisissent de la disparition du comité technique paritaire des services socio-éducatif pour exiger et obtenir de la DAP l’exclusion du SNEPAP-FSU.
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C’est ainsi que, par un courrier laconique du 22 mai 2012, le DAP informait le SNEPAP-FSU qu’il ne participerait plus à ces travaux et qu’en lieu et place seuls l’UFAP-UNSA, le SNP-FO et l’UGSP-CGT seraient consultés. Mais, probablement pince-sans-rire, le DAP prenait un engagement : « Je m’attacherai cependant à ce que votre organisation soit régulièrement tenue informée de l’avancement des travaux et à recevoir les propositions que vous m’adresserez ». Il n’en fût évidemment rien… Et ce n’est que par une timide allusion dans une publication syndicale que le SNEPAP-FSU apprenait la poursuite des travaux et la volonté d’une organisation professionnelle d’aboutir à la rédaction d’une fiche fonction de CPIP en Maison Centrale. C’est pourquoi, par un courrier du 12 octobre 2012, le SNEPAP-FSU faisait part de ses inquiétudes sur l’évolution de ce dossier et rappelait les principes qui avaient guidé sa participation à ces travaux jusqu’à sa brutale éviction.
Extrait du courrier du SNEPAP-FSU à M. MASSE, DAP, le 12 octobre 2012 :
Le SNEPAP-FSU avait fait connaître lors du début des travaux relatifs au référentiel métier ses positions, qui avaient pour la plupart reçu l’assentiment de l’ensemble des membres du groupe de travail dont les représentants de l’administration. Certains aspects étaient directement issus des orientations du protocole de 2009 : affirmation de l’aspect criminologique des interventions du CPIP notamment dans le cadre de l’élaboration de programmes ; travail du CPIP centré sur la question du passage à l’acte et de la prévention de la récidive, orientation vers les services de droit commun en matière d’action sociale notamment…
Mais le SNEPAP-FSU avait surtout défendu, préalablement à la définition du contenu du référentiel, les principes suivants : limitation du nombre de fiches fonctions ; affirmation du « cœur de métier » de CPIP comme une entité non fractionnable ; unicité de l’intervention entre milieu fermé et milieu ouvert eu égard à la continuité de la prise en charge entre les deux entités. En effet, pour le SNEPAP-FSU, l’intervention des CPIP quels que soient le lieu ou le type de mesures, relève d’une méthodologie unique qui exclut d’éventuelles spécialisations. Au terme de longues discussions, les membres du groupe de travail avaient donc conclu à la nécessité d’élaborer une fiche fonction unique pour le métier de CPIP. Ainsi, les autres fiches fonctions envisagées (formateur, ACMO, etc.) ne relevaient pas stricto sensu des missions de CPIP.
Dans sa réponse du 8 novembre 2012, le DAP nous indiquait que le groupe de travail s’était vu présenté les travaux réalisés avec le SNEPAP-FSU, mais qu’il avait retenu « une méthodologie différente ». Le DAP complétait en précisant que les travaux se poursuivaient « dans le respect des orientations du protocole de 2009 » et que les fiches fonctions ainsi réalisées constitueraient « un outil de connaissance du métier qui permet de le valoriser en soulignant la multiplicité des fonctions que les CPIP sont amenés à occuper tout au long de leur carrière ». Et ce jeudi 17 octobre, nous pouvons dire qu’en terme de reconnaissance et de valorisation, nous avons été servis !
Ainsi, ce ne sont pas moins de 12 fiches fonctions pour le cœur de métier de CPIP (15 en tout avec 3 fiches transversales de responsable de formation, de tuteur de stage, d’assistant de prévention) qui ont été validées par le groupe de travail, auquel seule l’UGSP-CGT a pris la peine d’assister de bout en bout, nous dit-on. Et le résultat est tout simplement ahurissant : CPIP chargé des mesures de LC, chargé des mesures de TIG, chargé des PPR, chargé des mesures de surveillance électronique, chargé des enquêtes, CPIP en établissement pour peine, en maison d’arrêt, chargé des mesures de semi-liberté, chargé des mesures de placement à l’extérieur, chargé des mesures probatoires, etc. ! Les membres du groupe de travail, DAP et UGSP-CGT en tête, se sont ainsi concertés pour atomiser le métier de CPIP, réduit à la tâche d’exécutant, spécialisé dans les mesures judiciaires. Mais notre effarement n’en était qu’à son premier stade… La lecture détaillée des fiches n’était ainsi qu’une longue et lente agonie. En vrac, l’on y apprend dans des conceptions qui sentent bon la naphtaline :
que la principale, pour ne pas dire l’unique, mission du SPIP en Maison d’Arrêt serait, selon les membres du groupe de travail, la « lutte contre les effets désocialisants de l’incarcération » et que ces interventions auraient pour « objectif de préparer la sortie » que l’on suppose donc sèche ! Pour le CPIP en MA, l’élaboration d’un projet d’aménagement de peine serait en effet relégué comme une tâche éventuelle dans un champ d’activité où « favoriser le maintien des liens familiaux », « accompagner les événements familiaux (mariage, naissance, décès…) » ou encore « mettre en place des actions de préparation à la sortie » viennent en premier lieu ! Mais peut-être que la préparation des aménagements de peine appartient en définitive au CPIP chargé des enquêtes… ;
que le CPIP chargé des mesures « probatoires », de LC ou de TIG, devrait assurer « l’accompagnement de la personne (comment et pourquoi ? Mystère…) et le contrôle du respect des obligations de la mesure ». A l’heure des règles européennes de probation, de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive et du congrès mondial de la probation, une telle conception a presque la valeur de document historique. En effet, ignorant ostensiblement les missions des CPIP et les objectifs de prévention de la récidive et de réinsertion tels que définis par le statut de 2010, la plupart des fiches fonctions font littéralement référence au statut de 1993.
que le CPIP en établissement pour peine devra en premier lieu composer (sic) avec l’ « environnement sécuritaire et l’architecture de l’établissement ». Et pourquoi pas l’humeur du chef d’établissement et la température extérieure pendant qu’on y est ! Si les CPIP peuvent se voir contraints de s’adapter à certaines difficultés d’exercice, en milieu fermé notamment, c’est la première fois qu’ils sont sommés d’en prendre leur parti et de faire profil bas. Cependant, moyennant ces quelques légers renoncements dans la plénitude de l’exercice de leurs missions, cette fiche de poste fascinante nous indique que les CPIP en EPP auront le privilège exclusif de mener un « travail approfondi du passage à l’acte » ! Termes qui n’apparaissent dans aucune autre fiche fonction ! Pas même celle du CPIP chargé des PPR, on croit rêver !
que, pour la quasi-totalité les fiches et quelles que soient les conditions d’exercice (milieu ouvert ou milieu fermé), le seul référentiel qualité visé est celui des RPE et en particulier le processus 2 relatif à la « prise en charge et accompagnement de la personne détenue durant la détention ». Dans aucune fiche il n’est fait référence aux Règles Européennes de Probation.
Le SNEPAP-FSU n’attendait évidemment rien du SNP-FO ou de l’UFAP-UNSA, dont la représentativité chez les CPIP et leur intérêt pour ce corps se mesurent à la hauteur de leur présence aléatoire aux réunions de travail. Nous savons à quoi nous en tenir avec la parole donnée de la DAP depuis le reniement sur l’intégration directe des CSIP, la totale déshérence des travaux sur le protocole et notamment sur le déploiement de la pluridisciplinarité depuis 2010, ou le passage en force sur le DAVC. Mais que dire de l’attitude de l’UGSP-CGT dans ce dossier essentiel pour l’avenir des SPIP ! Que dire du communiqué du 1er octobre 2013 de cette même organisation qui s’est bien gardée d’évoquer une seule fois les résultats concrets des travaux qu’elle a menés pendant plus d’un an avec l’administration ! Que dire de l’autosatisfaction affichée devant le niveau d’autonomie1 à nouveau reconnu, (alors que l’administration nous annonce déjà qu’elle devra le revoir, à la baisse bien sûr, en engageant les travaux sur le référentiel DPIP), devant les « fondamentaux préservés », alors que l’UGSP-CGT a pris manifestement toute sa part au dépeçage du métier de CPIP ! Seuls reculs « inacceptables », toujours selon le même communiqué : que ces fiches fonctions ne s’appliquent pas aux ASS (grand bien leur fasse !) et que les travaux ne se soient pas poursuivis par la rédaction d’un nouvel arrêté de formation initiale sur ces mêmes bases, à quoi avons-nous échappé !
Belle victoire à la Pyrrhus en vérité, que celle d’avoir « exigé et obtenu de l’administration de remettre complètement à plat les travaux qui avaient été engagés exclusivement avec les signataires du protocole de 2009 ». Ces travaux avaient sans doute pour l’UGSP-CGT les torts insurmontables d’avoir été menés avec le SNEPAP-FSU, d’avoir cherché à préserver une vision unifiée du métier de CPIP et de s’inscrire dans la lignée d’un protocole qui commettait le pécher originel de vouloir placer la personne sous main de Justice au cœur des organisations de service. Mais que l’UGSP-CGT se rassure, nous la tiendrons bien pour responsable de la débâcle professionnelle qui s’annonce ! Nous n’oublierons pas qu’elle a fourni les arguments aux partisans de la pré-affectation des stagiaires CPIP en laissant croire que les compétences de CPIP pouvaient s’acquérir par tranches, parcellaires et incohérentes, et donc sur un seul lieu de stage spécialisé… Nous n’oublierons pas, au moment de lutter contre des organisations de service aliénantes par pôles spécialisés, que l’UGSP-CGT, pour un peu de vernis « social », a validé cette vision atomisée du métier de CPIP par type de mesure. Pourtant toutes les recherches, tous les textes de références, REP en tête, appellent à placer les problématiques de la personne sous main de Justice au cœur du suivi, et non de transformer la probation en un simple contrôle de l’exécution d’une mesure et du respect d’obligations. Tant pis, donc, pour la personne prise en charge qui, sous couvert d’un accompagnement devenu bien fantomatique, a pour le coup disparue des préoccupations des professionnels. Nous attendons avec impatience les prochains tracts dénonçant la perte de sens du métier de CPIP et la taylorisation des tâches. L’hypocrisie continuera, quant à elle, de prospérer…
Au cours de la réunion du 17 octobre 2013, le SNEPAP-FSU a clairement fait savoir à la DAP qu’il était hors de question que ce « référentiel métier », porteur de régressions inadmissibles, connaisse la moindre déclinaison opérationnelle, tant au niveau de la formation initiale qu’à celui de la rédaction de fiches de postes. Pensant sans doute nous rassurer, les représentants de l’administration nous ont fait savoir que ces fiches ne feraient l’objet que d’une publication à titre informatif sur le site internet de l’ENAP mais qu’elles ne seraient pas validées officiellement par la DAP ! Ainsi, elles ne seront même pas soumises à l’examen du CT-AP, alors même que c’est au nom de la compétence exclusive de cette instance que le SNEPAP-FSU a été exclu des travaux sur ce dossier !
Mais que l’on se rassure, assumant jusqu’au bout le résultat des travaux qu’elle a pilotés, la DAP nous annonce que l’on peut espérer qu’ils seront sans lendemain : ils devraient ainsi être balayés par les conclusions des groupes de travail ministériels qui vont être mis en place par la Garde des Sceaux ! De l’art de tourner en rond…
Paris, le 28 octobre 2013.