Audience avec Madame GORCE, Directrice de l’Administration Pénitentiaire

Il y a quelques jours, une délégation « pluridisciplinaire » du SNEPAP-FSU était reçue par Madame GORCE, nouvelle Directrice de l’Administration Pénitentiaire. Son parcours professionnel, sa

connaissance des SPIP dont elle a notamment accompagné la création, traduisent une vision objective et équilibrée de l’Administration Pénitentiaire. S’il est certain que notre organisation ne partagera

pas toujours les orientations à venir, nos revendications pour la connaissance et la reconnaissance de l’ensemble des services et des acteurs de notre administration ne résonneront plus dans le vide.

Qualité de l’accueil, propos clairs et directs, maîtrise des dossiers, vision des enjeux pour notre administration, le changement de style est flagrant.

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Ressources humaines, situation matérielle et budgétaire, la « maison » vacille.

Le SNEPAP-FSU a longuement insisté sur l’état catastrophique des établissements et des services, confrontés à des carences généralisées. Aujourd’hui, Madame GORCE arrive à la direction d’une

administration qui assure le suivi de 20 000 personnes sous main de justice de plus qu’en 2010, lorsqu’elle la quittait. Le taux d’occupation des établissements bat des records et la tension y est croissante. Le ratio théorique moyen de suivi par CPIP n’évolue pas favorablement, les charges de travail se sont alourdies et les conditions d’intervention se sont dégradées. Pire, nombre de personnels, humiliés par la classe politique au cours des dernières années, assommés par les

commandes institutionnelles, désorientés par l’absence de ligne directrice, ne croient plus en ce qu’ils font. Gestion trop souvent hasardeuse des ressources humaines, traitement scandaleux des agents non titulaires, enterrement de première classe du dossier des organigrammes SPIP, maintien de la préaffectation des CPIP stagiaires, pourtant condamnée par nombre d’organisations professionnelles et de rapports, dont celui de Madame GORCE en septembre 2008, sont autant d’exemples des défaillances

d’une administration aux abois.

Notre organisation a mis l’accent sur la situation matérielle et budgétaire des SPIP, pour certains en cessation de paiement, et des établissements en gestion directe. Plusieurs exemples ont été donnés sur la gestion concrète, son impact sur les personnels, les conséquences de la restriction des crédits d’intervention.

Consciente de ces problématiques, Madame GORCE en a pris acte et a tenté d’apporter des éléments de réponse :

➢ Une difficulté majeure relative à la gestion de la masse salariale : une mission, dont l’objectif est de comprendre les origines des dysfonctionnements et d’adapter les outils en fonction, est sur le point d’être ordonnée.

➢ La possibilité d’une mauvaise répartition des crédits d’intervention sur le territoire…

➢ La nécessaire construction d’organigrammes pour les SPIP, conditionnée par la connaissance des métiers, l’objectivation des charges de travail et des contingences locales….Certes, mais qu’a

donc fait l’Administration Pénitentiaire ces dernières années ?

Organisation et méthodologie d’intervention, une doctrine pour l’Administration Pénitentiaire :

Dès ses propos introductifs, Madame GORCE a fait état d’une conception portée par d’autres acteurs, d’une Administration Pénitentiaire vécue comme une citadelle aux personnels constamment sur la défensive. Elle s’est montrée convaincue de l’intérêt de la construction d’une véritable doctrine où seraient pleinement intégrées et partagées l’ensemble des missions du service public pénitentiaire, de

la garde à la réinsertion, dans un objectif de prévention de la récidive. S’agissant de la question des SPIP et de leurs missions, Madame GORCE est revenue sur l’analyse et les préconisations qu’elle avait

effectuées il y a quelques années, relatives notamment à la confusion des missions du SPIP et du métier de CPIP, précisant que le virage avait peut-être été trop brutal et mal accompagné auprès des personnels. Si cette analyse peut s’entendre, il est patent que l’administration ne s’est pas donnée les moyens de ses ambitions. Le SNEPAP-FSU est convaincu que les principes qu’il porte depuis plusieurs années sont les bons : des échanges nés de la conférence de consensus aux débats relatifs à la réforme pénale, les professionnels, conscients des enjeux, ont manifesté leur envie de se questionner sur leurs pratiques.

Ainsi, il est plus que jamais nécessaire de mener une réflexion de fond sur l’évaluation des publics. La malheureuse expérience du DAVC doit être évacuée. A travers cet outil, le principe de l’évaluation fut dévoyé pour répondre à des contingences strictement politiques. Simple grille d’entretien améliorée, sans conclusions permettant la construction d’un parcours de peine assis sur des axes d’intervention partagés, le DAVC ne repose sur aucun fondement scientifique. Madame GORCE a pris acte de cet échec. Mais, le temps nécessaire à la construction d’un outil pertinent étant estimé à 4 ans, il conviendra de trouver une solution intermédiaire.

Dans ce cadre, le SNEPAP-FSU a également rappelé son intérêt pour l’élaboration d’un suivi différencié cohérent et harmonisé, pour des méthodes d’intervention rénovées, largement inspirées des expériences nationales voire internationales. L’organisation des services et la méthodologie d’intervention ont trop souvent été abordées sous l’angle de la gestion de flux. Il est aujourd’hui

indispensable d’analyser ce qui marche et ce qui ne marche pas, de faire confiance aux personnels, et surtout de leur donner les moyens ; difficile de ne pas faire le lien avec l’expérience des PPR, qui

reçoivent un accueil de plus en plus favorable dans les services, mais qui se heurtent aux réalités des ressources humaines disponibles. Dans le même temps, il est primordial que la notion de « pluridisciplinarité » trouve une définition partagée, et soit accompagnée d’une manière cohérente et coordonnée.

Au-delà de la formation initiale et de la formation continue, dont les contenus doivent être renforcés, il est impératif d’ouvrir les services, de les mettre en lien aussi bien entre eux, à travers les retours

d’expériences, qu’avec les acteurs nationaux et internationaux et les universités, afin de les irriguer en connaissances
. Une campagne relative aux règles européennes de la probation, à l’instar de ce qui a été fait avec les règles pénitentiaires européennes, doit être engagée.

La Directrice de l’Administration Pénitentiaire est consciente des enjeux ; les analyses sont convergentes sur nombre de points. Si son intérêt pour l’harmonisation des pratiques est évident, elle insiste sur le fait qu’elle doit être raisonnée et ne doit pas se confondre avec la standardisation. A cet effet, des groupes de travail internes vont être mis en place. L’un d’eux, composé de magistrats mandants, aura notamment pour objectif de mieux définir ce que les juridictions attendent des peines qu’elles prononcent.

Si le SNEPAP-FSU se félicite de cette démarche, il espère vivement qu’elle évitera certains écueils. D’une part, nous savons que la Garde des Sceaux entend présenter son projet de réforme pénale devant

le Parlement avec un certain nombre d’éléments relatifs aux pratiques et méthodes d’intervention : il sera primordial de ne pas reproduire les erreurs du passé, à savoir l’adaptation d’un calendrier de travail au calendrier politique. D’autre part, il conviendra de ne pas multiplier les cercles fermés, de faire confiance aux premiers acteurs concernés au quotidien, tout en favorisant les échanges et les passerelles avec des acteurs évoluant en dehors de la DAP…

Les personnels, le dialogue social : connaître et reconnaître :

Le SNEPAP-FSU a d’abord évoqué le manque de visibilité et de reconnaissance externes des services et des personnels. Il est impératif que l’Administration Pénitentiaire s’extraie des trop classiques médiatisations d’événements négatifs pour investir la fenêtre médiatique qui s’est ouverte avec le projet de loi pénale, pour parler du travail de qualité mené au quotidien dans ses services et ses établissements. Nous avons rappelé à Madame GORCE les expériences qu’elle a conduites par le passé, et qu’elle doit désormais développer à grande échelle (conférences de presse/journées portes ouvertes dans les SPIP etc.), d’autant qu’il n’y a jamais eu un tel nombre de demandes d’immersion en SPIP formulées par les médias.

La reconnaissance interne aussi est fondamentale : l’Administration Pénitentiaire doit valoriser l’ensemble de ses services et de ses personnels. Au-delà des moyens humains et budgétaires, elle doit reconnaître les compétences de l’ensemble des corps, ne pas laisser croire que l’expertise n’appartiendrait qu’à certaines catégories de personnels, aussi précieux soient-ils3. Il est fondamental que les psychologues (de plus en plus nombreux) soient mieux associés au développement de leur futur corps, et que les personnels administratifs, trop souvent isolés, soient davantage écoutés. Le prédécesseur de Madame GORCE nous avait indiqué qu’il n’avait que faire des symboles ; si nous privilégions les actes de fond, il n’en reste pas moins que quelques gestes seraient appréciés par les personnels. Madame GORCE a été particulièrement sensible à l’une de nos propositions, à savoir la présidence par la DAP, et ce pour la première fois, de l’une des CAP de la filière insertion et probation. Enfin, la DAP devra porter davantage de considération à la qualité du dialogue social et les DISP devront être plus attentives aux organisations représentatives des personnels pénitentiaires d’insertion et de probation. Le rétablissement du Comité technique national dédié aux SPIP est une victoire ; or, initialement promis pour la fin 2013, il ne verrait pas le jour avant fin 2014…le SNEPAP-FSU restera donc vigilant afin que les engagements pris se concrétisent.

Les échanges avec la nouvelle Directrice de l’Administration Pénitentiaire ont été particulièrement riches. Son discours est volontaire, ambitieux et révèle une volonté d’accélérer la politique d’ouverture d’une administration trop souvent cloisonnée.

Pour autant, les défis qui nous attendent sont gigantesques, et l’administration devra se donner les moyens d’y répondre autrement qu’en surface.

L’abondement des services en moyens humains et matériels va de pair avec la réflexion qui s’engage sur les pratiques. Les personnels pénitentiaires sont eux aussi volontaires et ambitieux, mais ils ont fait le deuil des belles paroles et des engagements à sens unique. La

tension, qui ne s’est pas dissipée dans les services, rappelle à chacun que le temps presse.

Paris, le 4 octobre 2013

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