Administration Pénitentiaire : Lorsque le navire sombre à pic…

La fin de l’année 2008 ainsi que les premiers mois de l’année 2009 auront vu tous les voyants de l’Administration pénitentiaire passer au rouge !

L’inflation galopante de la population carcérale est tout juste aujourd’hui jugulée au prix d’une surcharge de travail inédite dans les SPIP et de stratégies judiciaires de « contournements » des peines qui créent de véritables bombes à retardement pour demain… Le rapport parlementaire sur l’application de la loi du 10/08/2007 pointe ainsi :

« Il a été indiqué qu’une part importante des peines minimales prononcées sont assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve : cette pratique permet en effet aux magistrats, tout en appliquant la peine minimale, de prononcer une incarcération ferme plus courte et de dissuader la personne de toute velléité de récidive, sauf à faire « tomber » son sursis pendant le délai de mise à l’épreuve. […]

Le recours massif à ces SME de durées inédites a été qualifié de « bombe à retardement » par Mme Martine Lebrun, présidente de l’ANJAP, rejoignant ainsi M. Claude d’Harcourt qui qualifie la situation de « bulle » prête à éclater. »



Extrait du rapport parlementaire sur l’application de la loi du 10/08/2007,

partie intitulée : « Tentative d’analyse prospective : quels sont les effets possibles de la « bombe à retardement » que constitue le prononcé massif de SME de longue durée ? »

Les services pénitentiaires (établissements et services pénitentiaires d’insertion et de probation) n’ont donc connu jusqu’ici que la première vague du « tsunami » de la création des peines plancher. Le pire est peut-être à venir… Pourtant les dégâts sont déjà énormes et les conséquences dramatiques !

Pas une semaine sans que l’Administration Pénitentiaire ne soit sous le feu des medias… A juste titre, tant la situation, devenue insoutenable, entraîne son cortège de violences, pathologies multiples, et plus grave, une série de suicides alarmante parmi les personnes détenues. Les suicides chez les agents, signes d’une détresse personnelle certes complexe, mais dont le contexte professionnel ne peut être exclu, constituent également un phénomène inquiétant. Condamnés à partager le même espace de relégation sur lequel la société referme le couvercle, personnels et publics partagent aujourd’hui la même pression quotidienne, la même promiscuité, les mêmes conditions indignes de vie ou de travail.

Face à cette situation déplorable, les personnels de tous corps, proches de la rupture, font face avec les moyens du bord. A titre d’exemple, face à la recrudescence de suicides de détenus, la Chancellerie a jugé bon, sans la moindre concertation préalable, de renforcer les modalités de surveillance spéciale puis de nommer un nième expert chargé de rendre des préconisations en matière de prévention… Quelques mois plus tard, le rapport ALBRAND annonce des mesures gadgets (vêtements déchirables, etc…) et surtout aboutit à des recommandations (détection de la crise suicidaire, moyens de prévention, formation des personnels…) similaires au rapport TERRA en 2003 ! Faudra-t-il attendre 2015 pour qu’un nouveau rapport dresse le même diagnostic et préconise les mêmes solutions pour qu’enfin les moyens de mettre en œuvre ces dispositifs soient donnés à l’administration pénitentiaire ?!



Pour exercer correctement ses missions, l’administration pénitentiaire doit pouvoir assurer un taux d’encadrement satisfaisant de la population pénale. Les niveaux actuels d’un surveillant ou d’un conseiller d’insertion et de probation pour 100 personnes placées sous main de justice sont inacceptables ! Les recrutements récents sont certes importants mais n’ont pour seul objectif que de couvrir l’ouverture des nouveaux établissements, elle-même résultat de politiques pénales qui favorisent l’incarcération systématique.

Le SNEPAP-FSU exprime donc sa solidarité avec les revendications liées au manque d’effectifs et aux conditions de travail, portées par les organisations syndicales représentatives des personnels de surveillance.

Cependant, si des recrutements dans tous les corps sont indispensables, les solutions à cette crise ne passeront que par une réorientation profonde des politiques pénales afin d’assurer un moindre recours à l’enfermement…

Depuis 1999, les solutions sont pourtant connues et le Conseil de l’Europe dans sa recommandation (99)22 sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale préconise :

I . Principes de base

1. La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate.

2. L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité.

3. Il convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges à y recourir aussi largement que possible.

4. Les Etat membres devraient examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté.

5. Afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant à ces phénomènes devrait être menée. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catégories d’infractions susceptibles d’entraîner de longues peines de prison, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques existantes en matière de prononcé des peines.

Voilà dix ans que le gouvernement français fait le choix d’ignorer ces orientations européennes au profit d’une politique sécuritaire de lutte contre la délinquance dont les résultats sont aussi illusoires que les principes dangereux pour les libertés publiques.

Seule l’intention affichée de la direction de l’administration pénitentiaire de faire des règles pénitentiaires européennes une « charte d’action », semblait traduire une volonté d’humaniser les prisons, à laquelle le moratoire annoncé par la Chancellerie pourrait porter un coup fatal…

Noyée sous les flots de politiques pénales absurdes, cette volonté ressemblait déjà à l’orchestre sur le pont du Titanic…

Jusqu’au naufrage ?!

La balle est dans le camp de la Garde des Sceaux…

Ou de son successeur…

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