Lettre ouverte à la Ministre de la Justice
Madame La Ministre de la Justice et des Libertés,
C’est avec une certaine satisfaction que le SNEPAP-FSU a pris connaissance, à travers le titre d’un article
du Monde en date du 21 septembre 2010, de votre volonté de placer « la libération conditionnelle au coeur de la
lutte contre la récidive ».
Paris le 28 septembre 2010
Si, en tant que professionnels du champ de l’application des peines, nous sommes
convaincus de la pertinence et de l’efficacité de cette mesure, nous ne pouvons que déplorer qu’elle soit depuis des
années en perte de vitesse. Il s’agit sans doute là de l’effet de campagnes médiatiques tendant à la faire passer pour
une mesure de clémence ou encore à mettre en cause la responsabilité de magistrats ayant pris la décision de placer
un condamné sous ce régime.
Néanmoins, l’énumération de vos pistes de réflexion relatives à la libération conditionnelle a fortement
interpellé le SNEPAP-FSU et appelle une réaction de la part notre syndicat qui représente principalement les
personnels des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), personnels auxquels vous faites référence
dans cet article.
Depuis plusieurs années, le SNEPAP-FSU n’a eu de cesse de porter auprès des gouvernements successifs,
et dernièrement lors de l’élaboration de la récente loi pénitentiaire, des revendications novatrices sur la libération
conditionnelle. Celles-ci ont été, notamment, inspirées par les conclusions du Conseil de l’Europe en la matière et
plus particulièrement de la recommandation adoptée par le Conseil des Ministres le 24 septembre 2003 qui établit
« que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la
récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté
et contrôlé ». Ainsi, vous relevez vous-même que « pour un condamné, passer du jour au lendemain de la prison à
l’absence totale d’encadrement n’est pas la meilleure préparation à un retour à la société civile ». Le constat est
également partagé par de nombreux professionnels de Justice qui s’accordent pour dire que le système de la
libération conditionnelle est un système qui a fait ses preuves ! Malheureusement, bien souvent l’oeil médiatique ne
s’arrête que sur les – rares mais certes dramatiques – cas d’échec de cette mesure, mais jamais sur ses multiples
réussites ! Or vous le dites vous-même : « la loi ne saurait être modifiée à chaque évènement »… Le SNEPAPFSU
ne peut que se réjouir de votre prise de conscience, tant l’arsenal juridique, modifié à chaque fait divers ces
dernières années, constitue aujourd’hui un « mille-feuille » extrêmement complexe. Pour le SNEPAP-FSU, il est
temps de faire une pause dans cette surenchère et de faire fonctionner les mesures existantes.
Le SNEPAP-FSU milite de longue date pour que la libération conditionnelle soit considérée comme un des
outils majeurs de la prévention de la récidive. Ainsi, le SNEPAP-FSU revendique que toute peine de prison
s’exécute selon un modèle progressif et connaisse donc deux temps : l’un en milieu fermé, l’autre en milieu ouvert.
Cette progressivité doit être le principe et le placement en libération conditionnelle doit être automatique. Celui-ci
ne doit pas être pensé comme une « faveur », mais doit en effet s’envisager comme un processus classique
d’exécution de peine, dans le cadre de l’élaboration du parcours d’exécution de peine (PEP). C’est le sens des
préconisations du Conseil de l’Europe. Dans cette lignée, lors des discussions sur la loi pénitentiaire, des
organisations membres du collectif « Octobre 2001 », dont le SNEPAP-FSU, ont élaboré une proposition
d’amendement du Code de Procédure Pénale pour introduire le principe d’une libération conditionnelle d’office.
Cette disposition est d’ores et déjà présente dans plusieurs systèmes juridiques étrangers qui ont fait leurs preuves.
Contrairement aux idées parfois véhiculées, cette évolution ne nierait en rien le principe d’individualisation de la
sanction dont les aménagements de peines sont l’habituel vecteur. En effet, l’individualisation, nécessaire pour
répondre au mieux aux problématiques de la personne, n’interviendrait dans ce système non pas sur l’opportunité du
placement en libération conditionnelle mais sur les modalités d’exécution de la mesure et notamment le nombre et
la nature des obligations. Bien entendu, ce dispositif doit reposer sur un suivi régulier des libérés conditionnels par
les SPIP. Or à ce jour, et malgré les efforts de recrutement que vous signalez, ces services demeurent lourdement
carencés.
De même, le principe de l’automaticité des aménagements de peine permettrait, pour le SNEPAP-FSU,
d’évoluer vers un système plus égalitaire. En effet, malgré les avancées de la loi sur ce point, l’octroi d’une mesure
de libération conditionnelle demeure toujours tributaire de la situation socio-économique de la personne
condamnée (hébergement, emploi, soutien familial…). Trop souvent, l’octroi d’une mesure de libération
conditionnelle est ainsi soumis aux ressources individuelles que la personne détenue peut mobiliser. Ce n’est que
dans de trop rares cas que le relais d’organismes de droit commun en détention, dont la présence s’avère pourtant
indispensable pour offrir des solutions en matière de logement, d’activité professionnelle, de situation
administrative, de droits sociaux, etc., permet réellement d’élaborer un projet à l’appui d’une libération
conditionnelle. Dans un contexte de crise économique, nous savons tous que l’incarcération est un frein
supplémentaire aux démarches d’insertion. Pour le SNEPAP-FSU, l’automaticité de la libération conditionnelle
permettrait de faire évoluer le rôle de l’institution à l’égard de la personne détenue. Dès lors qu’elle ne serait plus
perçue comme une éventualité pour quelques-uns mais comme la règle pour tous, la libération conditionnelle
mettrait l’Administration Pénitentiaire en position de responsabilité à l’égard de tous les détenus libérés et par
conséquent, dans la nécessité de préparer activement la sortie de chacun. Bien sûr, sur ce champ, l’Administration Pénitentiaire ne peut agir seule ; elle a besoin de l’action
complémentaire de l’ensemble des services publics et organismes de droit commun (Education Nationale, Pôle
Emploi, services d’action sociale, CPAM, CAF, etc.). Le SNEPAP-FSU a obtenu de l’Administration Pénitentiaire
qu’elle s’engage dans un travail important de conventionnement avec ces institutions. Mais, à ce jour, en l’absence
d’une volonté affichée du gouvernement et souvent faute de moyens, certains services de droit commun sont encore
absents des détentions ! Les professionnels de votre Ministère attendent donc un engagement ferme de votre part
pour porter l’idée qu’il faut donner aux services de droits communs les moyens nécessaires à leur intervention
auprès des publics « justice ».
Des solutions pour lutter contre la récidive existent déjà dans la loi, aussi nous ne pouvons que nous
étonner des propositions contenues dans l’article du Monde. En effet, vous proposez tout d’abord d’instaurer une
progressivité à la libération conditionnelle sous la forme d’une période probatoire. Or cette disposition est d’ores et
déjà prévue par la loi. L’article 723-1 du Code de Procédure Pénale dispose ainsi dans son deuxième alinéa que « le
juge de l’application des peines peut également subordonner la libération conditionnelle du condamné à
l’exécution, à titre probatoire, d’une mesure de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, pour une durée
n’excédant pas un an. » Si les services peinent toutefois à mettre en place davantage de semi-liberté ou placements
à l’extérieur probatoires à la libération conditionnelle, c’est trop souvent parce que les partenaires extérieurs qui
pourraient garantir un hébergement, une formation ou un emploi, qui viennent parfois à l’appui de telles mesures,
sont en nombre insuffisant ou en grande difficulté compte tenu de financements dont la reconduction ne leur est pas
garantie.
De même, le SNEPAP-FSU ne peut que s’étonner de votre volonté de « rompre l’isolement du juge dans la
décision de remise en libération conditionnelle ». En effet, une telle décision n’intervient qu’après un travail
conséquent de l’Administration Pénitentiaire – et notamment du SPIP – qui émet un avis. Lors d’un débat
contradictoire, sont présents, outre les représentants de l’Administration Pénitentiaire, le Procureur de la
République représentant les intérêts de la société, et la personne elle-même ainsi que, le cas échéant, son défenseur.
C’est après avoir pris connaissance du rapport complet de l’Administration Pénitentiaire, rédigé par un Conseiller
d’Insertion et de Probation (CIP) en charge de l’individualisation tout au long de la peine, que le Juge de
l’Application des Peines prend une décision. Il peut éventuellement éclairer celle-ci par des expertises médicales,
psychologiques ou psychiatriques et des enquêtes réalisées auprès de la victime et prenant en compte son intérêt. Il
est assisté de deux autres magistrats pour les personnes condamnées à des peines de plus de 10 ans
d’emprisonnement, pour qui un aménagement de peine ne peut être décidé que lors d’une audience du Tribunal de
l’Application des Peines. Les décisions du Juge et du Tribunal de l’Application des Peines sont susceptibles de
recours. En l’état, et même si ce système est sans doute à parfaire, le SNEPAP-FSU considère que de nouvelles
représentations de la société civile lors de l’examen des demandes de libération conditionnelle ne sont pas
nécessaires.
Enfin, la présence historique du SNEPAP-FSU au sein des SPIP et le travail mené ces dernières années
pour assurer une légitimité pleine et entière à ces services ne peuvent que faire réagir notre organisation aux seules
missions que vous semblez leur attribuer dans l’article du Monde, et qui seraient donc selon vous, recentrées sur les
aménagements de peine. Depuis le 9 juillet 2009, le SNEPAP-FSU est signataire avec le Ministère de la Justice
d’un protocole d’accord relatif à la réforme statutaire des personnels de la filière insertion – probation. Ce texte
dresse le constat de l’évolution de ces services au cours des dernières années et stipule que le métier de CIP « doit
être considéré comme un métier en soi, développant des compétences et une expertise propres. La mise en oeuvre
des alternatives à l’incarcération, la construction de parcours d’exécution de peines centrés sur la personne et
basés sur la relation à construire avec elle, la préparation et la mise en oeuvre des aménagements de peine,
l’analyse de la situation globale de la personne condamnée en vue de déterminer l’individualisation et la
progressivité de la peine dans l’objectif de prévention de la récidive sont autant d’actes professionnels réalisés
quotidiennement par les CIP et par aucune autre profession. » Le rôle des SPIP, « maison mère » des
aménagement de peine, en matière de préparation, de proposition et d’exécution de ceux-ci, doit sans doute être
renforcée tant les personnels et les services développent aujourd’hui une compétence et un savoir faire spécifique.
Cependant, cette mission ne saurait se concevoir sans travail éducatif d’accompagnement et d’échange. Dans ce
cadre, l’aménagement de la peine ne doit pas être un objectif en soi, mais bien un moyen, un outil participant à la
réduction des risques de récidive.
De plus, affirmer que les missions des SPIP doivent être recentrées sur les aménagements de peine revient à
occulter encore une fois toutes les autres peines s’exécutant dans la communauté. A cet égard, d’autres mesures et
sanctions pénales, celles relevant plus particulièrement de la probation (Sursis et Ajournements avec Mise à
l’Epreuve, Travail d’Intérêt Général, Suivi Socio-Judiciaire, etc.), peuvent avoir un impact bien plus riche que
l’incarcération. La mise en oeuvre et le suivi de ces peines relèvent pleinement des missions du SPIP. Ces mesures
qui interviennent parfois tôt dans certains parcours délinquants, pourraient jouer un rôle décisif pour prévenir les
récidives qui conduisent à des peines plus lourdes, si les moyens de leur suivi étaient réellement octroyés à
l’Administration Pénitentiaire et aux SPIP.
Rappelons à cet égard qu’aujourd’hui à peine plus de 2500 personnels d’insertion et de probation ont la
charge de plus de 60000 personnes détenues mais surtout de plus de 160000 personnes condamnées à une mesure
de probation. Et si nous relevons qu’un effort a été fait ces dernières années en ce domaine, le fossé reste
conséquent. A titre d’exemple significatif, les pays ayant mis en place la libération conditionnelle automatique
attribuent environ une vingtaine de condamnés à suivre par personnel de probation… nous sommes loin du compte
côté français ! Pour le SNEPAP-FSU, il est urgent de doter les SPIP de moyens supplémentaires, tant en conseillers
d’insertion et de probation qu’en personnels pouvant s’intégrer dans une équipe pluridisciplinaire et participer à
l’élaboration, avec la personne, du parcours d’exécution de peine (psychologues, surveillants, animateurs
culturels…). La pluridisciplinarité n’a toujours pas de réalité dans les SPIP malgré les annonces faites par votre
Ministère, le SNEPAP-FSU attend en ce domaine le respect des engagements pris. Les prochaines annonces
budgétaires seront pour nous significatives.
Madame la Ministre, nous ne pouvons douter de votre réelle volonté de prévenir la récidive mais, en tant
que professionnels, qui partagent votre souci, nous ne pouvons tolérer que cette question devienne l’enjeu des
discours politiciens et démagogiques que nous avons pu entendre ces dernières semaines. Des solutions existent,
loin des réponses simplistes d’une répression accrue à chaque faits divers, mais impliquent un certain courage
politique pour les porter.
C’est dans cet esprit que nous sommes disponibles pour discuter avec vous de pistes pour améliorer la
libération conditionnelle, mais aussi les autres aménagements de peines, et valoriser les peines dites de « milieu
ouvert » ainsi que les services et les personnels qui oeuvrent dans le cadre de ces missions du service public
pénitentiaire.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, nos respectueuses salutations.
Sophie Desbruyères
Secrétaire Générale du SNEPAP FSU
PS : Ce courrier sera rendu public.