Lettre ouverte Mme Taubira, Garde des Sceaux
Madame la Ministre,
Vous venez de prendre vos fonctions et vous héritez, concernant l’Administration Pénitentiaire, d’une situation particulièrement dégradée et préoccupante.
Au 1er avril 2012, le nombre de personnes écrouées atteignait le record historique de 77 588. Parmi ces personnes, 12 848 bénéficiaient d’un aménagement de peine, dont la grande majorité sans hébergement par l’Administration Pénitentiaire mais 67 161 personnes demeuraient détenues dans un établissement pénitentiaire. Ce sont près de 13 000 personnes qui étaient en surnombre dans un parc pénitentiaire aux établissements de plus en plus gigantesques et excentrés, et dont la capacité à cette date était de 57 243 places. Le travail qu’il reste à faire est important pour que la France puisse se prévaloir de prisons modernes et humaines, notamment afin d’assurer les droits et la sécurité pour tous. La situation des services de probation (SPIP) est tout aussi alarmante bien que plus rarement mise sur la place publique. L’affaire dite « de Pornic », au-delà du traumatisme provoqué par la violente mise en cause des personnels par le Chef de l’Etat de l’époque, a mis en lumière des services exsangues, dans l’incapacité d’assurer la prise en charge de la totalité des 173 000 personnes qui sont placées sous main de justice. Si la surcharge des SPIP pourrait paraître moins urgente à traiter dans la mesure où elle ne génère pas au quotidien le cortège de situations dramatiques que l’on rencontre dans les détentions, elle doit pourtant à notre sens être au cœur des priorités de votre ministère.
En effet, le premier constat, et désormais une évidence pour tous, est que l’aménagement des courtes et moyennes peines de prison est à ce jour au cœur des politiques pénales. Non seulement, a-t-il été affirmé comme principe par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 mais surtout, il garantit aujourd’hui l’effectivité de l’exécution des peines dans un contexte de saturation des maisons d’arrêt qui accueillent ce type de peines lorsqu’elles ne sont pas aménagées. Si le taux d’aménagements de peine retrouvait son faible niveau de 2007, ce serait aujourd’hui 20 000 personnes détenues en surnombre que devraient accueillir les maisons d’arrêt françaises. L’augmentation considérable du nombre de ces aménagements repose principalement sur l’activité des SPIP parfois au détriment de leur missions plus anciennes et à notre sens, tout aussi essentielles : le suivi des peines en milieu ouvert, couramment dénommé « probation ». Le précédent gouvernement et la majorité parlementaire avaient fait le choix de lutter contre la surpopulation carcérale, qu’ils avaient pour une très large part eux-mêmes engendrée, par la construction effrénée de nouvelles places de prison. Ces orientations se sont traduites par le vote de la loi relative à l’exécution des peines du 27 mars 2012, ultime loi pénale de la législature prévoyant la construction de 24 000 nouvelles places. Le SNEPAP-FSU défend une toute autre orientation dans laquelle la probation aurait enfin toute sa place et un véritable crédit, tant auprès des autorités judiciaires que politiques.
Pour le SNEPAP-FSU, la probation doit en effet devenir la pierre angulaire d’une politique pénale qui placerait la prévention de la récidive au cœur de ses préoccupations et ferait de l’incarcération non pas la sanction de référence mais l’ultime recours. La prise en charge en milieu ouvert, l’exécution d’une sanction au sein de la communauté sont ainsi des peines qui ont fait la preuve de leur efficacité dans de nombreux systèmes étrangers qui se sont plus souciés d’évaluer l’efficacité de leurs politiques pénales que d’assurer l’affichage idéologique d’une prétendue sévérité à l’égard des délinquants. A condition de respecter certains principes, la probation, de même que l’aménagement des peines, réduit plus efficacement le risque de récidive que l’incarcération qui a d’ailleurs dans de nombreux cas plutôt tendance à l’aggraver. C’est pourquoi les SPIP doivent à notre sens être une priorité de l’action du nouveau gouvernement. Ces derniers souffrent en effet d’importantes carences en personnel (d’insertion et de probation, administratifs, d’encadrement, de surveillance…) mais également de budget en constante régression ces dernières années. Bien plus, la considération pour le travail de ces services fait cruellement défaut « dans un contexte institutionnel ancien, mais encore réel, du service public pénitentiaire, qui a longtemps centré ses priorités sur les enjeux du milieu fermé au détriment de ceux du milieu ouvert » selon les termes de l’Inspection Générale des Services Pénitentiaires à la suite de l’affaire de Pornic.
Dressant le même constat, l’Inspection Générale des Finances et l’Inspection Générale des Services Judiciaires appelaient dans leur rapport de mission conjointe, à renforcer la place de la filière insertion-probation à tous les échelons décisionnels, centraux et déconcentrés, de la DAP. Pourtant, votre prédécesseur a fait le choix dans ce contexte, non seulement de ne pas renforcer la représentation des SPIP au sein de la DAP mais de l’affaiblir en supprimant, à l’occasion de la rénovation du dialogue social, le seul espace de concertation national dédié à ces services depuis 1985 : le Comité Technique Paritaire – Socio-Educatif (CTP-SE). Le SNEPAP-FSU attend ainsi de vous un premier geste fort qui permettrait de réinstaurer une véritable instance de dialogue social où les missions et les méthodes de travail des SPIP pourraient à nouveau être discutées.
Nous nous tenons à votre disposition pour toutes informations complémentaires que vous souhaiteriez sur l’ensemble de ces sujets et vous adressons nos salutations respectueuses.
Paris le 22 mai 2012