Métier de CIP : ce que le SNEPAP-FSU défend…

Le mouvement du printemps 2008 n’a fait que raviver des débats et des clivages qui encombrent sans aucun doute l’horizon des SPIP et du métier de CIP depuis maintenant plusieurs années.

Du fait de l’émergence de deux éléments : la création des SPIP en 1999 et l’évolution législative en matière pénale entamée en 1998 avec la création du suivi socio-judiciaire, nos métiers ont changé. D’évidence, la profession de CIP depuis sa nouvelle dénomination en 1993 n’est plus la même… Pourtant, certains continuent de se revendiquer de conceptions qui ont porté ces métiers au cours des années 70 et 80 à l’époque où coexistaient sans grande cohérence, services éducatifs et sociaux (puis socio-éducatifs) des établissements pénitentiaires et comités de probation et d’assistance aux libérés. Le SNEPAP-FSU a accompagné voire porté certaines évolutions dans notre champ professionnel. Il est aujourd’hui bien loin le temps où l’on pouvait lire dans les Actes du congrès national 1974 du SNEPAP-FSU : « La réforme structurelle de l’AP doit notamment impliquer la reconnaissance du travail de l’ensemble des personnels pénitentiaires comme un travail social. Il nous appartient d’affirmer publiquement que les personnels de l’AP ont vocation à être des travailleurs sociaux ». Le SNEPAP-FSU aurait-il donc trahi ses convictions originelles ? « Vendu son âme au diable » à la poursuite de quelques chimères statutaires ?

Loin des caricatures qui voudraient faire du SNEPAP-FSU le chantre de missions centrées sur le contrôle et la répression, qui s’éloigneraient de plus en plus d’un travail social perçu comme dernier contre-poids d’un « tout répressif galopant », que défend donc le SNEPAP-FSU aujourd’hui ? De quelles conceptions du métier et des missions des SPIP est-il porteur ? Pourquoi la prévention de la récidive nous apparaît à présent comme une perspective nouvelle et un champ professionnel à investir ?

Car, de quoi parle-t-on au juste ? Il est sans doute temps de procéder à un travail d’éclaircissement conceptuel qui faute d’avoir jusqu’ici été suffisamment mené, obscurcit le débat et donne lieu à des interprétations le plus souvent approximatives. Criminologie, expertise, prévention de la récidive, programmes, autant de termes trop peu explicités qui servent aujourd’hui à certains de repoussoir commode.

Après la suppression de la peine de relégation pour les récidivistes, l’abolition de la peine de mort a fait basculer la Justice pénale vers un nouveau paradigme, d’une logique d’élimination au principe que tout être humain, quoi qu’il ait fait, est susceptible de s’améliorer, de changer. Principe que le régime progressif de la réforme Amor, qui créait parallèlement la fonction d’éducateur pénitentiaire, portait déjà en germe mais sans l’avoir jamais généralisé. Toute peine a dorénavant un « après » comme horizon. Reste à créer les conditions de cette amélioration pour que ce principe ne demeure pas un postulat philosophique. L’abolition de la peine capitale impose donc au système pénal la nécessité de préparer pour toute personne incarcérée, le moment d’un retour à une vie totalement libre (même hypothétique dans le cas des peines perpétuelles), d’une réintégration de la société par le délinquant ou le criminel. Une nouvelle question se pose dès lors, celle de l’utilité sociale, du sens de la peine. L’émergence des SPIP est intervenue autour de la nécessaire réflexion sur ce champ. D’une prise en charge sociale visant à accompagner le déroulement des peines et à en prévenir les effets désocialisants, il est désormais nécessaire d’envisager d’autres modes d’intervention permettant de donner du contenu aux peines elles-mêmes. Une fois le constat établi d’une délinquance et le prononcé d’une sanction, notre exigence doit être celle de dresser des perspectives pour toute personne condamnée. Le temps pénitentiaire ne peut plus se penser comme le temps lourd de l’exclusion mais comme porteur d’évolutions futures. Travail « social » s’il en est, mais autant que la délinquance est elle-même par définition un phénomène social. Pas de délinquance sans société et sans loi. Sur cette base, rien n’est dit ou presque…

Reste dès lors à définir notre champ d’intervention, notre identité professionnelle en termes positifs et non par ce qu’ils ne sont pas. Nous œuvrons dans le cadre de l’exercice de la « violence légitime » de l’Etat, selon la formule de Max WEBER. Ce en quoi nous sommes des personnels pénitentiaires à part entière, soumis au même statut spécial. Il est évidemment possible de rejeter cette mission d’exécution des peines (voire en conséquence, l’appartenance à l’Administration Pénitentiaire) et chercher à s’orienter vers des missions d’action sociale sur le modèle de services sociaux spécialisés pour le public « Justice ». Mais comment dès lors crédibiliser la probation, les sanctions alternatives, les aménagements de peine et limiter par ce biais le recours à l’incarcération ? Agir dans ce cadre d’exécution des peines, qui sont par nature une atteinte aux libertés individuelles, n’est pas sans conséquence. Cela nous impose dans notre action quotidienne d’être, au même titre que les magistrats et les autres personnels pénitentiaires, les garants des libertés publiques et des droits des personnes prévenues ou condamnées. Ces garanties sont contenues dans le mandat judiciaire qui délimite notre action.

Notre travail, au cœur de l’individualisation des peines ne peut s’extraire de ce cadre pénal et des droits individuels qu’il doit assurer. C’est pourquoi aujourd’hui comme demain nos métiers n’ont leur place ni dans une filière « médico-social » ni dans une filière « sécurité » mais bien au sein d’une filière « justice », si tant est que les filières que l’on cherche à imposer dans le débat sur l’avenir de la fonction publique, aient le moindre sens. L’attachement du SNEPAP-FSU au mandat judiciaire n’est pas une posture ; il s’appuie sur le fait que la peine, puisqu’il s’agit du cœur de notre intervention, ne peut s’étendre indéfiniment [1]. Il engage à l’inverse une conception particulière du métier. L’Administration Pénitentiaire, par notre biais, n’a pas vocation à étendre son emprise sur l’ensemble des aspects de la vie d’une personne. Les tendances totalitaires et infantilisantes de notre institution n’ont aucun besoin d’être renforcées. Bien plus, le contrôle judiciaire qui s’exerce dans nos prises en charge ne doit pas dériver vers un contrôle social généralisé que contiendrait en germe le principe d’une « prise en charge globale » appliquée dans un contexte pénal. Notre mission est bien au contraire de créer des « lignes de fuites », des marges d’autonomisation pour que les personnes délinquantes, citoyens reconnus responsables de leurs actes, échappent à terme au système pénal.

Pour le SNEPAP-FSU, le principe, qui devrait être le cœur même de l’ensemble de l’action de l’Administration pénitentiaire, est bien que la privation ou la restriction de liberté n’est en aucun cas une privation ou restriction de droits. C’est le sens du combat ancien du SNEPAP-FSU pour que l’Administration Pénitentiaire devienne pleinement une institution républicaine et démocratique, respectueuse des droits élémentaires… Reconnaître les personnes placées sous main de justice comme des citoyens à part entière est une exigence fondamentale, non seulement d’un point de vue théorique mais aussi dans une perspective pratique. Il en va en effet de la capacité du délinquant condamné à devenir acteur de sa vie, à changer de trajectoire…

C’est pourquoi le SNEPAP-FSU rejette aujourd’hui la définition de l’identité professionnelle des CIP en qualité de travailleurs sociaux : parce que cette étiquette trop floue englobe une conception restrictive du phénomène de la délinquance et enferme les auteurs d’infractions dans les schémas d’un déterminisme réducteur. Nos missions concourent au traitement pénal de la délinquance et de la criminalité. Peut-on assimiler cela au traitement social de l’exclusion et de la misère ? En effet, poser que la réponse pénale passe par l’intervention systématique d’un travail social classique reviendrait à inscrire nos missions dans le champ des politiques d’action sociale (lutte contre les exclusions, accès aux droits sociaux, logement, etc.). La délinquance et la sanction seraient dès lors conçues comme des conséquences de l’exclusion, d’un « handicap social » auquel il faudrait remédier. Mais ne s’expose-t-on pas alors à une dramatique confusion des genres assimilant pénal et social voire délinquance et exclusion ? Le risque est alors bien celui d’un étirement du temps pénal pour coller à celui, souvent plus long, de la prise en charge sociale. Pour le SNEPAP-FSU, la valeur positive associée à une prise en charge sociale ne peut être le corollaire de la soumission à un régime pénitentiaire, à une privation ou restriction de droits. Et pourquoi pas une prolongation de mesure probatoire jusqu’à l’aboutissement de certaines démarches sociales ?! Elucubration, diront certains… Et pourtant, nous n’en sommes pas si loin lorsque d’autres affirment qu’ils préfèrent une « sortie bien préparée » à un aménagement dans le cadre de la NPAP et « savent que « laisser sortir » un détenu sans qu’il s’y soit activement préparé, hypothèque sa vie hors les murs » [2]. La peine, « aseptisée », ne devient que l’occasion « extensible » de traiter une problématique jugée comme déterminante dans le passage à l’acte délinquant. Mais si l’on estime, sur des bases tout aussi idéologiques, que d’autres déterminismes sont à l’oeuvre ? Culturels, psychologiques, génétiques, etc. ? Pourquoi ne pas étendre également le temps pénal jusqu’à la résolution totale des difficultés ? Et enfermer les « pervers dangereux » jusqu’à ce qu’ils soient « soignés »… A chacun son « déterminisme » et son « discours scientifique » de prédilection… A travers ces schémas, c’est une conception de la délinquance comme phénomène strictement déterminé qui se dessine. Chaque forme du phénomène délinquant s’inscrit alors dans un discours explicatif, souvent plus idéologique que scientifique, dans lequel l’individu est enfermé afin de lui appliquer le « traitement adéquat ». A la délinquance socio-économique, le travail social, aux infractions sexuelles ou violentes et aux toxicomanies, les soins… A confondre les facteurs et le résultat, à assimiler les causes et les conséquences, les risques de dérive sont grands. A naturaliser la délinquance, on la confond avec ses déterminants potentiels : la pauvreté, l’exclusion, la folie, la perversion, etc. Pourtant combien de pauvres, d’exclus, de fous, de pervers ne seront jamais délinquants ! Poser la réponse pénale à la délinquance comme l’opportunité d’un traitement socio-économique des problématiques d’exclusion aboutit à terme à cautionner ou à servir d’alibi à des politiques pénales qui sanctionnent la misère et à renforcer les effets d’une justice de classe. Dans des « stratégies » plus individuelles, cela peut revenir à faire de la récidive un moyen pour maintenir un accès à une prise en charge sociale [3]. Etranges paradoxes…

Face à une délinquance protéiforme, le risque nous guette de ne proposer qu’une réponse uniforme et inadaptée. C’est pourquoi le champ de la prévention de la récidive semble aujourd’hui plus riche ; elle revient à penser chaque passage à l’acte comme un acte individuel et singulier dont il s’agit d’analyser les facteurs pour y trouver des réponses. Dans cette optique d’individualisation de la peine et de la prise en charge, personne n’imagine, contrairement au procès fait au SNEPAP-FSU, pouvoir se passer de l’outil central de l’entretien individuel. Reste à savoir de quel type d’entretiens, de quel mode de prise en charge, il s’agit.

Face à un comportement individuel, à un acte unique, une première phase d’analyse et d’écoute particulière (le diagnostic) devient indispensable. La criminologie doit par ses apports multiples, par les regards croisés des différentes sciences qui la composent, nous donner les outils de compréhension d’un passage à l’acte sans l’enfermer dans un déterminisme clos. Cette première évaluation doit aboutir à l’élaboration d’un suivi adapté à chacun, sa personnalité, sa situation, ses problématiques (la différenciation du suivi). Logique de laquelle participe la généralisation de la notion de « projet d’exécution de peine ». Il s’agit dès lors pour nous d’appréhender les différents types de publics pris en charge afin de leur apporter des réponses adaptées, sans exclusive… L’individualisation de la peine passe ainsi nécessairement par une élaboration des étapes successives d’un parcours pénal et par une distinction des modalités d’intervention auprès des différentes personnes condamnées. Il s’agira bien évidemment et très largement d’orienter vers les partenaires les plus compétents au regard des difficultés perçues (psychologiques, psychiatriques, médicales, professionnelles, scolaires, juridiques, sociales, etc.), mais également d’adapter les modalités du volet « éducatif », autant que ce terme ait un sens à l’égard d’adultes, de notre intervention. Cette dimension de notre prise en charge doit être pensée comme moyen d’émancipation : une façon pour la personne délinquante d’accéder à la compréhension de son comportement, pour s’affranchir des facteurs déterminants. Or, ces facteurs sont bien plus souvent le fruit de discours individuels et/ou collectifs, de représentations personnelles et sociales que de réelles déterminations du comportement. Pour sortir de ces logiques d’assignation [4] auxquelles participent largement certains discours « scientifiques » et politiques sur les délinquants, il existe une voie qui consiste à redonner la parole aux personnes condamnées pour qu’elles retrouvent le chemin de leur liberté en se réappropriant leur parcours. Voie complexe et exigeante qui évite l’écueil de la normalisation des comportements voire de la moralisation qu’entraînerait inéluctablement une lecture déterministe de la délinquance en terme socio-économiques (avec le triptyque « travail – logement – liens familiaux » comme uniques gages de réinsertion) et/ou médico-psychologiques (la délinquance comme pathologie et « des soins pour tous » !). Bien plus qu’agis par un contexte, les délinquants sont plutôt « dits » par un pouvoir politique ou idéologique dominant, assignés dans leur statut de délinquant conditionné par des « causes » qui, si elles étaient réellement déterminantes, seraient bien souvent quasiment insurmontables. Il nous appartient au contraire d’affirmer qu’en dépit des difficultés sociales, affectives, psychologiques, chacun a la capacité de vivre dans le respect des lois. Redonner du pouvoir aux personnes, à l’heure où le pouvoir politique s’exerce précisément via des méthodes de contrôle et de communication, consiste à leur rendre la parole, à leur permettre d’accéder à un niveau de savoir et de compréhension de leur comportement pour en changer. Intervention foncièrement « éducative » certes. C’est pourquoi l’entretien semi-directif est un outil central de nos prises en charge. C’est pourquoi les groupes de paroles expérimentés sous le nom de « programmes de prévention de la récidive », sont un outil riche et à investir. Ils offrent aux participants un espace de libre échange entre pairs, d’expression, de verbalisation, qui à terme enrichit chacun d’une meilleure connaissance de lui-même et de ce qui l’a conduit au passage à l’acte. Sans que cette connaissance soit un savoir imposé « par le haut ». Nous devons ainsi plus largement oeuvrer quotidiennement par des interventions ciblées, à ces prises de conscience même minimes qui participent progressivement à la construction d’une pensée élaborée.

Nos tâches sont aujourd’hui complexes et doivent concourir à l’élaboration de suivis individualisés (conception). A partir d’un diagnostic initial d’une situation et d’un travail d’explication de la peine, du système judiciaire et pénitentiaire, il s’agit de développer les perspectives d’aménagement de la peine ou de différenciation de suivi (expertise en matière d’exécution et d’application des peines) afin d’accompagner une personne dans son retour à une vie totalement libre par une atténuation progressive de la contrainte pénale. Ce régime progressif rénové offre le cadre de la mise en oeuvre de programmes visant à rendre les personnes suivies capables de modifier leur comportement par une meilleure compréhension des enjeux, de tenants et des conséquences de leur comportement, pour elles-mêmes, pour les victimes, pour la société. Ce travail peut être mené au sein de groupes de paroles (encadrement). Dans ces conditions, le traitement pénal de la délinquance peut prétendre à évaluer et réduire les risques de récidive par un travail de fond sur le comportement mais aussi par un retour progressif et encadré à une situation de risque potentiel. La « dangerosité » n’a rien d’absolu et ne s’évalue donc que dans un contexte. Quelle vertu a le terme de « récidive » pour disqualifier ainsi la notion de « prévention » qui dans bien d’autres champs apparaît comme une option intelligente et efficace ? Ne laissons pas le choix et le pouvoir des mots à ceux qui aujourd’hui les instrumentalisent… La politique de réduction des risques en matière de toxicomanie mise en œuvre par la MILDT [5] à la fin des années 1990 offre ainsi un modèle riche et exemplaire. Car toute politique de prévention relève bien dans un premier temps d’une évaluation des risques, dans le but de les réduire et non de les annihiler. La mise en oeuvre et l’évaluation des moyens d’une « remise en situation » progressive, dans le temps de la peine, aux fins de réduire les risques de récidive, sont aujourd’hui le coeur de notre intervention.

Conception, analyse, expertise, encadrement, évaluation, autant de raisons pour lesquelles le SNEPAP revendique aujourd’hui, plus que jamais, l’accès à la catégorie A pour l’ensemble des personnels d’insertion et de probation réunis en un corps unique.


[1] C’est le sens par exemple de l’engagement du SNEPAP FSU en

faveur des libertés publiques et contre les mesures de sûreté aux

contours flous et à la durée indéfinie comme la rétention de sûreté.

www.contrelaretentiondesurete.fr. Voir sur ce point SNEPAP Info

n°42, juillet 2008, Tribune Libre : « la prévention de la récidive :

une affaire de nature », pp.15-16.

[2] Lettre d’infos des travailleurs sociaux de la CGT – Pénitentiaire,

janvier 2006.

[3] Le phénomène de suradaptation à la condition pénitentiaire

corollaire d’une incapacité croissante à assumer la vie libre et ses

contraintes, est connue et analysée. Entre autres : G.

CHANTRAINE, Par-delà les murs. Expériences et trajectoires en

Maison d’Arrêt, Presses Universitaires de France, Collection « Partage du Savoir » – Le Monde, Paris, 2004 – Première partie,

Chapitres 1, 2 et 3, pp.19-161.

[4] Parmi ces représentations concourant aux logiques

d’assignation, le rôle du « stigmate » dans ses différentes

dimensions, est bien souvent déterminant. Cf. E. GOFFMAN,

Stigmate, Les usages sociaux des handicaps, « Le sens

commun », Editions de Minuit, Paris, 1975 et également G.

CHANTRAINE, Par-delà les murs. Expériences et trajectoires en

Maison d’Arrêt, op. cit., pp.75-77.

[5] Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la

Toxicomanie. Le plan triennal 1999-2001 est ainsi notamment

marqué par l’édition du livret au titre remarquable : « Drogues :

savoir plus – risquer moins ».

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