Plan de sécurisation des prisons : indigestion à 33 millions…
Le Ministère de la Justice présentait, il y a quelques jours, son plan de sécurisation des prisons. Un plan qui faisait écho à la spectaculaire évasion de Loos-Sequedin intervenue quelques semaines plus tôt. Alors que la
France affiche l’un des taux d’évasion le plus bas du continent européen, le SNEPAP-FSU avait à cette époque dénoncé les attaques caricaturales portées contre l’article 57 de la Loi Pénitentiaire (encadrement des fouilles intégrales), dont la suppression est réclamée d’une même voix par nombre d’organisations syndicales définitivement incapables de raisonner sans opposer le droit des personnels à la dignité des personnes détenues.
Le Salaire de la peur
Reprenant les préconisations que nous faisions déjà à l’époque des discussions relatives aux décrets d’application de la Loi Pénitentiaire, le plan de sécurisation présenté par le Ministère de la Justice acte notamment le déploiement de portiques à ondes millimétriques dans certains établissements. Coût de l’opération ? 33 millions d’euros. Notre organisation est tout autant attachée que les autres à la sécurité des établissements et des personnels qui officient en leur sein, nier notre exigence sur ce point renvoie au manichéisme le plus sommaire. De fait, tout effort de notre Ministère en ce sens ne peut que retenir notre attention. Pour autant, nous refusons cette course au « plus sécuritaire que moi tu meurs », et nous demandons à l’ensemble des acteurs de mesurer la portée de la surenchère dans laquelle ils sont entrés, au risque de conduire notre administration, l’ensemble des personnels et les principes qu’ils portent1 vers un mur…
L’ENSEMBLE des personnels de l’administration pénitentiaire est concerné, dont ceux qui suivent, dans et hors les murs, quatre fois plus de personnes sous main de justice qu’il n’y a de personnes dans les établissements pénitentiaires ! Mieux, c’est de l’avenir de la politique pénale et d’exécution des peines de notre pays, alors que les premiers mots d’une loi pénale pour le moins attendue sont posés sur papier, dont il est question.
Le SNEPAP-FSU se félicite ainsi que des moyens conséquents soient dégagés pour la sécurité des personnels et des personnes détenues. Pour autant, notre organisation qui, depuis des semaines, d’audiences à Matignon en audiences à la chancellerie, écoute ses interlocuteurs lui expliquer qu’il n’existe aucune marge de manœuvre budgétaire pour donner du sens à la prochaine réforme pénale et soutenir les services chargés de sa future mise en oeuvre, est stupéfait par la capacité du Ministère à produire des plans engageant plusieurs dizaines de millions d’euros dans un temps aussi réduit. Plus encore, nous sommes abasourdis d’entendre que cette somme proviendra largement d’une redistribution des budgets existants… Personne n’ignore la nature des services qui feront les frais de cette redistribution alors que, déjà au bord de l’implosion, les SPIP voient leurs crédits de fonctionnement et d’insertion sans cesse rognés, et que les établissements en gestion publique sont étranglés…
Voilà encore la preuve qu’il n’existe pas de réelle volonté de changer les pratiques et d’inverser le paradigme de la politique pénale et d’exécution des peines en s’éloignant d’un concept de la peine confondu avec la prison. La prison qui, au delà des déclarations d’intention, au fil des décennies, au gré de l’actualité, ramène toujours, systématiquement, inlassablement, toute l’attention vers elle, avec la volonté d’asphyxier toute conception de la peine qui voudrait un tant soit peu s’en éloigner.
Une vision caricaturale des métiers
Dans son plan communiqué le 3 juin, le Ministère de la Justice s’est arrêté au milieu du gué en se focalisant sur le volet « statique » de la sécurisation ; il s’est dispensé d’une véritable approche de fond en écartant la sécurité « dynamique », et à omis de traiter les questions de la surpopulation carcérale, des ressources humaines et des pratiques, éléments centraux dès lors que doivent être envisagés par les personnels l’observation, l’écoute, le renseignement, la surveillance des personnes incarcérées qui présentent un réel risque sécuritaire.
Mais si le Ministère s’est arrêté au milieu du gué sur certaines questions, il a largement franchi le Rubicon sur d’autres, n’hésitant pas à piétiner les missions d’autres personnels et à s’asseoir notamment sur l’identité, pour ne pas dire la dignité, professionnelle des personnels d’insertion et de probation.
Ainsi, s’agissant du « plan maison centrale », le Ministère de la Justice préconise que les CPIP revoient « leur modalité d’intervention dans des structures pour lesquelles l’aménagement de peine n’est pas une priorité. La question de la place de ces derniers en Maison Centrale, à l’aune des missions nouvelles qui leurs sont confiées depuis 2008, se pose. L’utilisation et le développement des techniques nouvelles de prise en charge, par exemple collective avec les Programmes de Prévention de la Récidive ( PPR ), paraissent adaptés en de tels lieux ( à condition toutefois que le surveillant y participe et y trouve toute sa place ) ». Ahurissant…
Nous apprenons donc que les modalités d’intervention dans les structures « pour lesquelles l’aménagement de peine n’est pas une priorité » sont à revoir . Très bonne idée que voilà, qui poussera nombre de Personnels d’ Insertion et de Probation, ravis de voir leurs missions révisées à l’aune d’un dossier de presse, à retourner à leur hiérarchie l’ensemble des mesures « pour lesquelles l’aménagement de peine n’est pas une priorité ». Le gouffre de l’ignorance du Ministère et d’une Administration pour une partie de ses services, pourtant chargés du suivi de l’intégralité des personnes qui lui sont confiées, est désormais abyssal…
Nous apprenons encore que les nouvelles techniques de prise en charge, telles que le PPR, ne seraient en fait adaptées qu’à condition que le surveillant y participe et y trouve toute sa place…ce qui signifie donc que les PPR construits jusque là, après deux années de formation initiale pour les CPIP, des formations continues spécifiques, sous la supervision de psychologues (qui même eux non pas accès à l’animation même du PPR…), n’étaient donc pas adaptés…de mieux en mieux…
Nous passerons sur la mention dans le plan du 3 juin, de l’atypique formule visant à replacer le surveillant en « patron de la coursive ». Que le rédacteur du document en question soit félicité pour ces propos éclairés et sa connaissance aiguisée des métiers pénitentiaires ; si il venait à quitter la chancellerie, nul doute qu’il trouverait (ou retrouverait ?) une place dans les instances d’une organisations syndicale…
Mais quelle est donc cette vision des métiers, des compétences, des expertises et de leurs spécificités ? Quelle est donc cette vision du dialogue social qui vise à redéfinir la fonction et les missions de corps de personnels sans les personnels concernés, loin des textes et des pratiques ?
Le SNEPAP-FSU a clairement fait savoir au Cabinet du Garde des sceaux ce qu’il pensait de ce type de communication ; hasard ou pas, celle qui a suivi, en atteste le communiqué disponible sur le site internet du Ministère, a été revisitée. Il s’agit désormais de « replacer le surveillant au cœur du processus de resocialisation des détenus ».
Trés bien ; c’est ce que le SNEPAP-FSU demande lorsque, comme il l’a inscrit dans sa plate-forme revendicative, il appelle à l’évolution du métier de surveillant, à l’élargissement de son champ de compétence et d’intervention, à sa participation à la socialisation et à la réinsertion des personnes placées sous main de justice.
Mais de grâce, pas n’importe comment ! Pas en le plaçant en concurrence d’autres professionnels recrutés et formés pour ce faire ! Pas en jetant quelques formules creuses et pathétiques sur un document rédigé dans l’urgence pour tenter de calmer le malaise de personnels ! Pas sans réflexion de fond ni échange avec tous les personnels concernés !
Le Ministère de la Justice et l’Administration Pénitentiaire pensent ainsi être totalement libres d’utiliser les SPIP et leurs personnels comme bon leur semble, après s’être assurés de la disparition de leur seul espace de contre pouvoir et de dialogue, « feu » le CTPSE.
La médiocrité du plan susmentionné en est une conséquence directe.
Le SNEPAP accuse la chancellerie et l’ Administration Pénitentiaire de jeter les SPIP et leurs missions en pâture au grès des mouvements d’humeur et de l’actualité, de chercher à opposer les personnels de l’AP entre eux, et de se satisfaire de cette situation.
Le SNEPAP-FSU constate que derrière les déclarations d’intention et les signes d’ouverture, les SPIP et leurs personnels sont, dans les faits, toujours ignorés : ainsi, malgré les rapports, avis, et audits favorables évoquant le sujet, et malgré les requêtes de plus en plus insistantes des personnels et des organisations syndicales sensibilisés, il n’existe toujours pas de lieu de dialogue social dédié aux SPIP. Ainsi, après avoir visité tout ce que le Ministère de la Justice peut compter de services et d’associations gravitant autour de lui, la Garde des sceaux n’a, 13 mois après son arrivée, toujours pas mis un pied dans un SPIP.
Nous observons avec un œil bienveillant la spectaculaire opération qui vient de prendre forme en un temps éclair, sans aucun doute sous la pression des tensions croissantes, avec le déplacement de l’ensemble du Cabinet de la Garde des sceaux et des plus hautes autorités de la DAP dans des SPIP de la quasi-totalité des régions pénitentiaires, vendredi 14 juin. Mais personne n’est dupe, il faudra des engagements précis pour que cette opération de communication ne reste pas une réadaptation de « La grande vadrouille ».
Ainsi, encore, les SPIP continuent d’être exclus de toutes les grandes communications médiatiques de la chancellerie (nous gardons encore à l’esprit celle du 8 janvier 2013, censée présenter « une politique pénitentiaire ambitieuse et innovante », sans un mot sur ces services…), alors même qu’ils ont été placés en fil conducteur d’une application des peines éclairée par la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive.
Le SNEPAP-FSU constate qu’une marge de manœuvre conséquente existe pour les établissements pénitentiaires abritant 67 000 personnes détenues, mais qu’il n’en existe pour l’heure aucune pour les SPIP chargés du suivi de près de 255 000 personnes, aucune pour la mise en œuvre d’une loi censée « révolutionner » le droit pénal et l’application des peines.
Notre organisation et les personnels PENITENTIAIRES d’insertion et de probation seront particulièrement attentifs au contenu de la loi qui sera présentée au cours de l’été, aux moyens qui seront annoncés pour sa mise en œuvre, ainsi qu’à la décision qui aura été prise relativement au rétablissement d’une instance de dialogue social spécifique aux SPIP, trois exigences liées. Le SNEPAP-FSU prendra ses responsabilités, et, dans l’intérêt des personnels, saura se placer dans une démarche unitaire aux côtés des organisations professionnelles ayant une vision humaniste et ambitieuse de l’application des peines.
Les premières chaleurs se sont faites attendre ; il ne fait aucun doute que les personnels sauront les faire se prolonger jusqu’à l’automne…