RIVE : une troisième voie… pour quelle issue ?
Un mois avant l’annonce d’un plan national de lutte contre la radicalisation, la garde des Sceaux a dévoilé, ce
jeudi 9 novembre 2017, le programme RIVE (Recherche Intervention sur les Violences Extrémistes),
expérience menée « secrètement » depuis un an.
Piloté par l’Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale (APCARS), pour un
contrat de deux ans renouvelable, il vise à prendre en charge des personnes condamnées ou en attente de
jugement pour des faits en lien avec le terrorisme et ce, en milieu ouvert.
Décrit par cette dernière comme une troisième voie entre la prison et le milieu ouvert, ce programme a pour
objectifs de désengager ces personnes de la violence extrémiste et de les réinsérer.
Plus d’informations ici :
Onze personnes sont actuellement suivies individuellement par une
équipe pluridisciplinaire composée d’éducateurs, d’un psychologue et
d’un référent religieux à raison d’au moins six heures par semaine
d’entretiens les premiers mois.
L’ambition d’offrir une prise en charge globale de la personne dans toute
sa complexité ne concerne pas les cas les plus « durs » qui restent suivis
par les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de
probation…
Ce programme a vocation à être « dupliqué » comme l’a affirmé la
ministre de la Justice pour concerner bientôt 50 personnes.
Concernant le coût de ce nouveau dispositif, il est difficile de laisser
dire dans la presse, par des cadres de l’administration, qu’il coûtera « à
terme, moins cher qu’une place de prison » sans plus de précision.
Au delà du caractère erroné de cette affirmation comme vous le
constaterez dans l’encadré, nous ne pouvons que dénoncer cette
alternative exclusivement carcérale à la prise en charge des publics,
l’administration omettant sciemment d’évoquer les personnes suivies en
milieu ouvert par les SPIP.
Rassurons nous, ce sont des anciens éducateurs du PLAT (Plan de Lutte
Anti Terroriste), donc formés par l’administration pénitentiaire (aux
conditions de traitement que nous ne cessons de dénoncer), qui se
retrouvent employés pour le programme RIVE…
A y regarder de plus près, l’administration a payé deux fois pour le
développement de cette compétence, lors de la formation et lors de la
prise en charge.
Concrètement, les magistrats disposent désormais, avec le 22° de l’article 132-45 du code pénal, de la faculté
de contraindre un usager à suivre ce programme1. Le suivi "global" sera donc attribué à l’APCARS pour
l’exécution d’une obligation particulière inhérente à une mesure de justice confiée au SPIP… Mais rassurons
nous une nouvelle fois, les personnels pénitentiaires sont invités à des réunions de synthèse !
La radicalisation violente est un phénomène qui a une incidence croissante sur les pratiques professionnelles
de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire exerçant en établissements ou en milieu ouvert.
Partant de ce postulat, la prise en charge de tous les publics doit rester axée sur l’objectif de désistance.
Pourquoi ne pas confier le suivi de tous les publics condamnés pour des faits en lien avec le terrorisme aux
SPIP ?
La pérennisation des dispositifs passe par la montée en compétences des agents publics qui se sont vus, pour
la plupart, formés à cette thématique et même désignés comme référents « prévention de la radicalisation
violente ».
Cette question renvoie inévitablement à celle de l’attractivité des métiers pénitentiaires et plus
particulièrement, à ceux de la filière insertion et probation. Comment expliquer à des agents que leur
expertise métier doit se cantonner à certains suivis alors qu’ils sont formés à des méthodes d’intervention qui
prennent en compte la situation particulière de la personne confiée ?
L’accompagnement proposé dans le cadre du programme RIVE ne concerne qu’une problématique et n’est
possible que pour, d’une part, un nombre réduit de personnes prises en charge et par, d’autre part, la
mobilisation des acteurs de droit commun. Or, le SNEPAP-FSU émet les plus vives critiques au phénomène
de spécialisation des acteurs en fonction des infractions ou des problématiques visées.
En quoi, le traitement de la radicalisation est plus spécifique que le traitement des infractions à caractère
sexuel ?
De surcroît, en multipliant les intervenants, l’administration en vient à mettre à mal toute perspective de
travail de fond pour des expériences à l’avenir incertain. L’intervention des SPIP s’appuie sur des méthodes
socio-éducatives probantes, adaptées au contexte d’intervention et qui prennent en compte les capacités
d’évolution de la personne vers une sortie de la délinquance durable.
La volonté de la garde des Sceaux de modéliser cette prise en charge pour, in fine, la dupliquer nous
interroge quant aux moyens et ressources qui seront pour ce faire utilisés.
Depuis plusieurs années, les SPIP demandent des moyens adaptés à l’exercice de leurs
missions.
A l’heure des restrictions budgétaires visant la fonction publique qui se répercutent
nécessairement sur les usagers des services publics, il est difficile de comprendre le
choix de l’administration d’investir dans des projets onéreux et court-termistes, surtout
lorsque des enjeux de sécurité publique se posent.
Seuls services de l’Administration pénitentiaire à exercer cette mission de sécurité en
milieu libre, le fait de confier les personnes condamnées pour des faits en lien avec le
terrorisme au partenariat est tout simplement incompréhensible.
Le SNEPAP-FSU exige que les SPIP soient consacrés en véritables services d’exécution des peines et de
suivi des mesures restrictives de liberté. L’implication de la société civile dans les parcours des usagers ne
doit jamais impliquer une délégation pure et simple du suivi d’une peine.
Le SNEPAP-FSU demande, en conséquence, la transparence dans la mise en place de nouveaux dispositifs
de lutte contre la violence extrémiste et surtout l’évaluation de leur pertinence.
Pour rappel, "en trois ans, l’État a déboursé près de 100 millions d’euros, sans la "moindre évaluation
méthodique" de la "longue liste" des associations subventionnées".2
Force est également de rappeler que l’unique centre de déradicalisation ouvert en septembre 2016 à
Pontourny (Indre-et-Loire) a fermé cet été faute de résultats…
Paris, le 15 novembre 2017
2 Rapport sénatorial de Mesdames Esther BENBASSA et Catherine TROENDLE
Syndicat National de l’Ensemble des Personnels de l’Administration Pénitentiaire
12-14 rue Charles FOURIER – 75013 PARIS
Tél : 06.07.52.94.25 – 06.43.17.25.05 – Fax : 01.48.05.60.61
Messagerie : snepap@free.fr – Site Internet :http://snepap.fsu.fr – https://twitter.com/snepap
Le SNEPAP-FSU porte, depuis longtemps, la revendication d’une structuration du processus d’évaluation de
tous les publics à même de favoriser l’individualisation de l’exécution des peines. Or, la construction d’un
parcours d’exécution de peine cohérent peut, dans certains cas, être un long processus.
La prise en charge des personnes ayant une problématique liée à la violence extrémiste ne fait pas exception.
Le gage de réussite dans cet accompagnement passe donc également par le temps. A cette fin, il appartient à
l’administration de garantir la continuité du service public et l’égalité de traitement de ses usagers.
L’un des gros enjeux reste l’accompagnement des individus qui purgent une peine en milieu ouvert. Nous
espérons que le programme RIVE ne sera pas la seule solution envisagée… En effet, les SPIP sont les premiers
en ligne de mire quant à ces questions de prévention et de détection de la radicalisation violente.
Enfin, ils ne pourront être efficaces qu’avec l’implication de l’ensemble des pouvoirs publics. En effet, comme
l’a préconisé le conseil de l’Europe dans ses lignes directrices adoptées le 2 mars 2016, « la radicalisation est un
problème politique et social qui concerne l’ensemble des pouvoirs publics. Les prisons ne sont que l’une des
institutions au sein desquelles la radicalisation peut apparaître, et seule une approche sociale et politique globale
s’attaquant aux causes profondes de ce phénomène peut efficacement y remédier ».