Le SNEPAP-FSU décortique la Nième proposition de loi pour lutter contre la récidive

Une proposition de loi “visant à mieux lutter contre la récidive” est présentée par des députés du groupe Horizons (Mme Naïma MOUTCHOU, M. Laurent MARCANGELI) et sera soumise à l’étude de l’assemblée nationale à partir du 15.02.2023.
En préambule, le SNEPAP-FSU rappelle la nécessité de mener une réflexion globale sur la justice pénale, la frénésie législative et des mesures ponctuelles dans ce domaine n’ayant pas prouvé leur efficacité, bien au contraire.

S’agissant des mesures proposées dans cette proposition de loi :


1. Une peine plancher pour certains délits

L’article 1 de la proposition de loi prévoit l’ajout d’un « article 132-19-1. – Pour les délits mentionnés au I de l’article 222-14-5 et aux 4° et 4° bis des articles 222-12 et 222-13, commis en état de récidive légale, la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à un an d’emprisonnement. Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ce seuil ou une peine autre que l’emprisonnement en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. Les dispositions du présent article ne sont pas exclusives d’une peine d’amende et d’une ou plusieurs peines complémentaires ».

Cet article renvoie aux faits de violences commises, en état de récidive légale, sur plusieurs professionnels exerçant une mission de service public (forces de l’ordre, enseignants, magistrats, personnels de santé, pompiers, etc).

Le SNEPAP-FSU est opposé aux peines planchers. Aucune étude ne démontre leur efficacité dans la lutte contre la récidive. Des dispositions légales permettent déjà de tenir compte de l’état de récidive dans le prononcé de la peine. Les magistrats doivent conserver la libre appréciation de la peine adaptée.

Par ailleurs, l’état de surpopulation carcérale dans notre pays témoigne de l’absence de laxisme des magistrats, qui prononcent aujourd’hui des peines plus longues que par le passé.

 


2. La mise en place de permanences du SPIP au sein des juridictions

Le projet propose de renforcer la présence des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) en juridiction, sous la forme de permanences, pour une prise en charge immédiate des condamnés dès la fin de l’audience. Il s’agirait d’une expérimentation de trois ans au sein des tribunaux judiciaires.
Cette proposition reprend une des recommandations du Comité Sauvé, dans le cadre des Etats Généraux de la Justice, visant à renforcer la présence du SPIP dans les tribunaux, en évoquant des permanences permettant de “débriefer avec le condamné” et de lui remettre une convocation au SPIP pour le lendemain.

Pour le SNEPAP-FSU, si nous partageons l’objectif de rapidité de la mise en oeuvre d’une mesure de justice pénale, l’instauration de permanences du SPIP au sein des juridictions ne nous paraît pas opportune.

⇒ Des délais courts de prise en charge des auteurs par le SPIP déjà prévus par les textes
Depuis la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, renforcée par la loi de Programmation et de Réforme pour la Justice du 23.03.2019 (dite LPJ) visant à faciliter le travail des acteurs de la chaîne pénale, les délais de prise en charge sont considérablement réduits grâce aux transmissions des mesures aux SPIP directement par le service BEX du tribunal (article 474 CPP) et par la convocation devant le SPIP des sortants de détention ayant un sursis probatoire (article 741-1 CPP).
De plus, dans le cadre du sursis probatoire avec suivi renforcé, l’article D546-2 CPP prévoit des délais plus courts de convocation (8 jours en cas d’exécution provisoire prononcée, 10 à 15 jours dans le cas contraire).

 

⇒ L’absence de pertinence d’une permanence “guichet” par le SPIP au tribunal
Le SNEPAP-FSU est défavorable à la mise en place d’une permanence au tribunal qui aurait pour résultat de créer un “BEX bis” ou un “Super BEX”.
Les SPIP ont acquis une certaine autonomie depuis leur création, et disposent de locaux spécifiques, où ils ont vocation à intervenir en l’exécution des décisions de Justice.
Voir la personne condamnée à l’issue de l’audience (et bien souvent d’une garde à vue) pour lui réexpliquer la mesure de justice et remettre une convocation au SPIP à une date ultérieure est redondant des dispositions existantes et non pertinent.
Il ne s’agit pas du moment opportun pour expliquer le cadre judiciaire à la personne, en principe, déjà explicité par le juge ou l’avocat au moment de l’audience. Il est inutile que le SPIP tienne une fois de plus le même discours, dans la même temporalité.

Une permanence est un leurre, un ersatz de prise en charge du condamné par le SPIP.

Prévoir une prise en charge dès l’audience sans avoir les moyens d’un accompagnement réel à court terme n’apportera pas davantage d’efficacité. Cela mobiliserait par ailleurs un personnel sur des plages horaires larges, de nuit le cas échéant, au vu de la clôture souvent tardive des audiences pénales, dans des bureaux d’entretien exigus voire inexistants et sans moyen matériel adéquat. Cela induirait un sur-emploi des moyens humains pour les SPIP, avec les conséquences que l’on sait en termes d’épuisement professionnel et d’efficacité réduite.

De plus, la présence du justiciable n’est pas obligatoire lors du prononcé de la peine et bien souvent, le justiciable, s’il comparaissait libre, quitte les lieux avant le rendu de la décision.

 

⇒ Pour une prévention de la récidive efficace
Si la finalité est d’améliorer la lutte contre la récidive, le coeur du problème réside dans les moyens dévolus à l’ensemble des services de la chaîne pénale pour traiter dans un délai rapproché l’auteur des faits commis. Il manque surtout des effectifs à tous les échelons des services de police, judiciaires et pénitentiaires.
Rappelons à ce titre que les recrutements annoncés des CPIP pour 2023 sont moindres que les années passées, alors que les effectifs restent insuffisants pour respecter les organigrammes de référence recommandés (entre 40 et 60 personnes suivies par CPIP).
Au-delà des effectifs, la question de locaux adaptés et d’outils numériques efficaces doit à minima être considérée.

 


3. La mise en place par le SPIP d’un programme de prise en charge pour les LSC

L’article 4 prévoit que la libération sous contrainte soit “obligatoirement assortie d’un programme de prise en charge de la personne condamnée visant à prévenir tout acte de récidive et à la réinsérer, tel que défini par le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui l’accompagne”.

Le SNEPAP-FSU rappelle que toute personne sortant dans le cadre de la libération sous contrainte est suivie par le SPIP, dans la continuité de l’accompagnement mis en oeuvre durant son incarcération. Dans ce cadre, il est procédé à une évaluation de la situation de la personne et des axes de travail à mener sont définis, de manière structurée, dans un objectif de prévention de la récidive.

Nous nous interrogeons sur la mise en place d’un programme type lié à une mesure de justice (en l’occurrence la LSC), en ce qu’il risque de ne pas correspondre aux besoins criminogènes identifiés par l’évaluation. En effet, la mesure de justice ne reflète pas nécessairement les besoins du condamné. Faire oeuvre de ce Fordisme dans l’application d’un programme reviendrait à nier la nécessaire individualisation dans l’exécution de la peine et l’adaptation de la prise en charge à une personne. Cette approche est d’autre part antinomique de l’autonomie technique que le SNEPAP-FSU revendique pour les CPIP.

En conséquence, il est nécessaire que les SPIP développent un panel d’actions collectives structurées adaptées aux différents profils criminogènes, et dont l’application soit pérenne dans les services.

A charge pour le SPIP de définir les modalités de prise en charge les plus adaptées à la personne suivie, en individuel et en collectif.


4. L’organisation d’une conférence de consensus

L’article 5 de la proposition de loi préconise la tenue d’une conférence de consensus sur la lutte contre la récidive organisée avant le 31 décembre 2023, composée, a minima, de chercheurs et d’universitaires, d’élus locaux, de professionnels du monde judiciaire et pénitentiaire et de représentants d’associations, et dont la mission sera d’établir un état des lieux des connaissances actuelles en matière de prévention de la récidive, d’objectiver les termes du débat et de proposer, le cas échéant, les évolutions adéquates.

Le SNEPAP-FSU soutient cette proposition qui rejoint une de nos recommandations (cf notre analyse des EGJ). La conférence de consensus de 2013 a été un événement déterminant dans la mise en lumière des recherches scientifiques sur la prévention de la récidive et de la désistance, et a inspiré une évolution des pratiques en SPIP. Cette 1ère conférence a posé les bases d’un changement de paradigme (du jugement professionnel non structuré aux données probantes). Il importe à présent d’affirmer ce qui en a découlé, tout en actualisant les connaissances, et en identifiant des outils professionnels efficaces.

Plus largement, le SNEPAP-FSU milite en faveur d’un plan de recherche pénale scientifique, de nature à évaluer les dispositifs de politique pénale mis en oeuvre, et à sortir des postures et représentations en matière de justice pénale.

A ce titre, la mise en place d’un observatoire de la délinquance, du désistement et de la prévention de la récidive, indépendant et disposant de moyens suffisants pour lui permettre de mener ses missions, nous paraît indispensable.

Il importe également que cet observatoire soit systématiquement associé aux études d’impact des projets de lois pénales, qu’il entretienne un lien étroit avec le monde de la recherche (universités, pôle criminologique de l’ENAP, …) et les terrains pour une mise en perspective de ses données chiffrées aux fins de propositions de réponses adaptées. Pour de telles réponses, il est également nécessaire qu’il puisse accéder à l’examen de cohortes dans le temps long, pour des approches comparatives.

 

Paris, le 7 février 2023

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