Renseignement pénitentiaire – plan de lutte contre la radicalisation violente : un gloubi-boulga indigeste

Le 19 juin dernier, les organisations professionnelles du Comité Technique de l’Administration Pénitentiaire (CTAP) et du Comité technique SPIP (CT SPIP) étaient conviées par la direction de l’administration pénitentiaire pour aborder la question du renseignement pénitentiaire et des unités dédiées dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation.

Une réunion surréaliste. Depuis plusieurs mois, le SNEPAP-FSU dénonce l’absence d’information officielle, et a fortiori d’échanges, tant sur la déclinaison du plan de lutte contre la radicalisation violente que sur les réflexions relatives au renseignement pénitentiaire. Deux questions qui nous semblent devoir être appréhendées distinctement et posément.

L’administration avait initialement décidé d’aborder les deux thèmes, partiellement pour le second. A cet égard, des documents préparatoires au contenu relativement pauvre, valant « doctrine de renseignement pénitentiaire », avaient été transmis aux participants. Les conditions de la débâcle étaient posées. Dès l’introduction, l’administration indiquait que les documents en question seraient soumis au CTAP du 16 juillet. La démarche était donc claire : une consultation au pas de charge, limitée à sa plus simple expression, pas davantage d’informations sur le déploiement du plan de lutte contre la radicalisation, pas de saisine du CT SPIP malgré une implication majeure des services concernés.

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DOCTRINE DU RENSEIGNEMENT PENITENTIAIRE

Le document remis aux organisations professionnelles, si l’on sait qu’il vise à définir une « doctrine », n’est accompagné d’aucune explication quant à sa nature et à sa portée : projet de note ou de circulaire ? Simple ébauche ? Il s’appuie sur l’existant, alimenté et complété par des éléments tenant compte de la réorganisation de la DAP, de la commande politique en lien avec l’actualité, et des moyens dégagés dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation violente. Il vise à dessiner les missions et le périmètre d’action du renseignement pénitentiaire, à organiser un réseau plus structuré des services déconcentrés au niveau national, en passant par l’échelon interrégional, aborde les méthodes et les moyens, évoque les ressources humaines (recrutement, formation, déontologie), la sécurisation des échanges et l’habilitation des personnels, le partenariat avec d’autres services du renseignement et

le contrôle interne.

Entre dialogue de sourd et départ prématuré d’une organisation professionnelle visiblement vexée, Il n’y eut dans les faits guère d’échanges de fond.

A la lecture du document susmentionné, la « doctrine du renseignement pénitentiaire » reste relativement trouble.

Une définition un peu large et obscure pour ce qui concerne les objectifs du renseignement pénitentiaire ou le recueil d’informations, une rédaction brouillonne voire contradictoire quant à la place et à la situation des SPIP et des personnes suivies en milieu ouvert, tantôt concernés, tantôt mis de côté ; une transmission d’informations dont l’usage est potentiellement impossible ; le recours à un certain nombre de logiciels, dont l’application APPI, qui interpelle ; une relation à sens unique avec les services de renseignement…

Le texte prévoit la désignation d’un « référent renseignement » au sein de chaque SPIP, lequel serait l’interlocuteur fonctionnel direct et privilégié du réseau, tant pour l’échelon inter-régional que pour le niveau national. Il serait par ailleurs l’interlocuteur local des services territoriaux de la DGSI et serait titulaire d’une « habilitation Confidentiel Défense ». Pour le SNEPAP-FSU, les personnels des SPIP, qui oeuvrent sous mandat judiciaire, ne sont pas des agents de renseignement et n’ont pas à être désignés comme référents sur cette thématique.

PLAN DE LUTTE CONTRE LA RADICALISATION VIOLENTE

La « doctrine d’emploi des unités dédiées », visant à isoler les personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation, n’a finalement pas été abordée lors de cette réunion alors qu’il s’agissait du seul sujet relatif à ce plan.

Une recherche-action, dont l’objectif est la définition des publics concernés par la radicalisation violente et la mise en oeuvre de prises en charge dédiées, est actuellement en cours. De fait, l’administration aurait pu s’abstenir de poser, dans le document transmis en amont de la réunion, quelques principes d’identification des publics, alors même qu’il revient à cette recherche-action de les déterminer.

Pour l’affectation en unité dédiée, « le critère de la qualification pénale demeure très prégnant » ; ce motif mériterait d’être précisé. Depuis le mois de janvier, un certain nombre de personnes ont été condamnées pour apologie du

terrorisme. Une telle qualification mérite-t-elle une affectation automatique en unité dédiée (ce qui arrivera faute d’encadrement du principe), alors qu’il est régulièrement apparu que l’infraction relevait d’avantage de la bêtise, de troubles psychologiques ou des ravages de l’alcool ?

Le Centre National d’Evaluation, qui n’en finit plus de voir son champ d’action s’élargir, sera potentiellement sollicité, notamment parce que les personnes concernées ne seront pas systématiquement visées par une qualification pénale en lien avec le terrorisme.

« Chaque unité pourra proposer des modes de prise en charge différents liés au profil des personnes »… Sacrée doctrine que voilà. Dans les quartiers concernés, le personnel sera dédié, sans autre forme de précision… le SPIP, déjà confronté à la polarisation à tout crin, ne serait donc pas épargné.

Le plan de lutte contre la radicalisation (ou « contre le terrorisme », si l’on se fie aux fiches de poste que l’administration n’a pas cru bon de nous transmettre mais que nous nous sommes procurées) prévoit 50 « binômes de soutien » éducateur/psychologue. Leur recrutement est d’ores et déjà engagé et leur déploiement dépassera de loin les 5 unités dédiées, l’ensemble du territoire, ou presque, étant concerné. Ces binômes seront variablement affectés au niveau DISP ou SPIP départemental. Concernant les éducateurs, « ils ont pour mission de participer, de manière pluridisciplinaire et en lien avec l’ensemble des acteurs pénitentiaires, ainsi que les partenaires idoines, à l’amélioration de l’identification des phénomènes de radicalisation et de la prise en charge des PSMJ en voie de

radicalisation ou radicalisées. Dans cet objectif, les binômes apportent, en milieu ouvert comme en milieu fermé, soutien aux professionnels des services déconcentrés sur l’approche du phénomène, l’analyse des pratiques et de stratégies de prise en charge dans une finalité de prévention de la récidive
». La fiche de poste balaye large : « mobiliser son expertise et mettre ses compétences professionnelles au profit du repérage et de la prise en charge des personnes en voie de radicalisation ou radicalisées », donc intervention directe auprès des publics ; « contribuer

(…) à la conception de programmes de prise en charge individuelle ou collective
» ; « faciliter le développement des coopérations partenariales » impliquant une « participation aux différentes instances de lutte contre le terrorisme et de suivi du phénomène de radicalisation mises en place notamment par les préfectures ainsi qu’aux instances locales mobilisées sur l’insertion » ; « organiser la mutualisation des bonnes pratiques repérées, via la formalisation des retours d’expérience avec l’administration centrale et l’ENAP ». Pour les psychologues, ce sera la même chose en couleur, avec en prime un mélange des genres allant à l’encontre de leur code de déontologie : prise en charge des publics, intervention auprès des professionnels via l’analyse des pratiques et la formation ; mise en oeuvre de programmes et supervision…

Le SNEPAP-FSU porte l’idée d’un développement de la pluridisciplinarité dans l’Administration Pénitentiaire. Cette dernière nous a pris au mot, à ceci près qu’elle tord le principe dans tous les sens et ré-introduit des acteurs qui finissent en réalité par tous faire la même chose, au mépris de l’identité d’une filière insertion et probation déjà fragile. Nous avons eu l’occasion de dire au Cabinet de la Ministre ce que nous pensions de cet énième retour en arrière et du recrutement de nouveaux acteurs pénitentiaires par voie contractuelle. Lorsque l’actualité se calmera et

que les cordons de la bourse se resserreront quant à l’enveloppe des emplois contractuels, nul doute que la charge retombera sur des CPIP dont il n’est prévu aucun recrutement spécifique, en dehors des 14 postes de référents

renseignements en DISP et en centrale. A noter que « pour faciliter le dynamisme et les synergies partenariales nécessitant une forte réactivité sur la zone de compétence, un véhicule pourra être mis à disposition ». Lorsque l’on sait que les véhicules sont déjà en nombre insuffisant dans les services, qu’ils sont retirés aux personnels qui les utilisent pour les visites à domicile et les permanences délocalisées, que les CPIP placés en déplacement constant n’ont quasiment jamais de véhicule dédié, difficile de rester sereins…

Le SNEPAP-FSU a par ailleurs pris connaissance (toujours sans communication officielle de l’administration) de trois fiches de mise en oeuvre du plan de lutte contre la radicalisation : « programmes arrivants », « développement des activités », « programmes d’insertion et de lutte contre la radicalisation ». Ces fiches ciblent un certain nombre d’activités, modules et programmes, en précisant le substantiel abondement budgétaire dégagé dans le cadre du plan. En dehors de quelques projets spécifiques, la très grande majorité des programmes et modules listés sont en

réalité des modalités d’intervention existantes.

Dans un sens, un moindre mal …car, pour le SNEPAP-FSU, la prévention de la radicalisation violente n’est qu’un volet de la prévention de la récidive. Il convient d’avoir une approche globale à l’intention de l’ensemble de la population pénale, en donnant les moyens aux services et établissements de répondre aux missions qu’ils exercent déjà. Mais s’il s’agit de coller une étiquette « lutte contre la radicalisation » à côté de toutes les modalités d’intervention et de tous les objectifs, en détournant ceux-ci de leur destination première, notre bienveillance trouvera rapidement ses limites.

A ce titre, la gabegie de moyens dégagés trouve un écho partagé sur les terrains : à première vue, difficile pour les personnels de ne pas souscrire au déblocage de budgets particulièrement tendus… Mais le mélange des genres, la difficulté, voire l’impossibilité pour certains services de répondre matériellement à des demandes de formation continue sur des thèmes non ciblés par le plan de lutte contre la radicalisation interpellent.

L’urgence dans laquelle s’inscrit la nécessité d’engager ou de multiplier ces activités et programmes, pour dépenser les budgets miraculeusement dégagés, donne lieu à un grand n’importe quoi. Encore faut-il, en premier lieu, qu’il y ait

des agents disponibles pour mettre en oeuvre ces modalités d’intervention. Ensuite, parce que sous couvert de « lutte contre la radicalisation violente » et de budget dédié, les propositions les plus surprenantes voient le jour…

Le SNEPAP-FSU sait toute la responsabilité qui pèse sur l’ensemble des services de l’Etat, et donc sur les services de l’administration pénitentiaire. Mais il convient que cette dernière le traite avec toute la rigueur requise, laquelle impose une implication des personnels et de leurs organisations professionnelles via les informations et des échanges utiles.

A l’occasion de cette réunion du 19 juin, les organisations professionnelles ont semble-t-il ralenti la course folle de la locomotive pénitentiaire : elles ont imposé de nouveaux points de rencontres et d’échanges.

Respect du dialogue social et temps pour mener les réflexions sont des éléments indispensables pour éviter les écueils et récifs qui jalonnent des thématiques aussi sensibles.

Paris, le 1er juillet 2015

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