Pluridisciplinarité dans les SPIP : où en sommes-nous ?

En 2009, le SNEPAP-FSU signait le protocole statutaire relatif aux personnels d’insertion et de probation. Outre le rééchelonnement indiciaire, ce protocole prévoyait un volet « organisation des SPIP » où la pluridisciplinarité occupait une place centrale. En effet, partant du constat que « les CIP, recentrés sur leur coeur de métier, ne peuvent plus assurer toutes les missions dévolues au SPIP », il concluait : « les SPIP doivent donc devenir de véritables services pluridisciplinaires ». Ce protocole ouvrait la réflexion sur le rattachement au SPIP des personnels de surveillance chargés des mesures de PSE et précisait, s’agissant des personnels administratifs, que leur métier devait être « réévalué, mieux identifié, mieux reconnu, adapté aux exigences actuelles des services ». Quant aux assistants de service social, leurs missions devaient être recentrées sur le champ de l’action sociale et l’articulation des liens avec les dispositifs de droit commun. Concrètement, cela signifiait aussi que des psychologues et des coordinateurs socio-culturels devaient être recrutés pour intervenir dans les établissements.

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Dans la continuité de la réforme statutaire, des travaux s’engageaient alors entre le DAP et le SNEPAP-FSU. Mais, près d’une année plus tard, ils étaient brusquement stoppés, sous la pression d’organisations professionnelles rejetant le fait de ne pas être associées aux discussions (tenues pourtant sur la base d’un document qu’elles avaient refusé de signer) et ayant obtenu, pour certaines d’entre elles, la suppression du seul organe de concertation pour les SPIP, le Comité Technique Socio- Educatif.

Depuis, cinq années ont passé… Les boucliers se sont abaissés, les postures se sont dissipées et le discours de la plupart des organisations professionnelles a évolué. Quelques psychologues ont été recrutés, des personnels de surveillance ont fait leur entrée dans les SPIP, mais sans que ne soient réellement posées deux questions centrales : pour quoi faire et comment le faire…

Pluridisciplinarité dans les SPIP : pour quoi faire ?

Il convient en premier lieu de distinguer la pluridisciplinarité, au sein de l’administration pénitentiaire, et plus précisément au sein des SPIP, des relations partenariales. Intervient dès lors la limite entre ce qui relève du droit commun et d’une prise en charge spécifique par le SPIP. Le SNEPAP-FSU revendique clairement l’intervention des services de droit commun (action sociale, emploi et formation etc.) au sein des établissements pénitentiaires, la privation de liberté ne devant pas entraîner la privation de ces droits. De même qu’en milieu ouvert, où la compétence de ces services

doit être préservée, afin d’éviter l’accentuation de la stigmatisation du public justice. Sans aller jusqu’à la délégation pure et simple de mesures, l’intervention du secteur associatif sur un certain nombre de champs doit être confortée (hébergement, conduites addictives, chantiers d’insertion etc).

Parler de SPIP pluridisciplinaire implique nécessairement d’opérer une distinction entre les missions du SPIP et les missions du CPIP, les unes ne couvrant pas totalement les autres.

Le SPIP pluridisciplinaire conduit également, dans un esprit d’humilité et un souci d’efficacité, à considérer la prise en charge d’une personne comme recouvrant des réalités si vastes qu’une seule catégorie de personnels ne pourrait l’appréhender efficacement seule. Il s’agit en effet de croiser les

regards et les approches pour mieux comprendre, rompre l’isolement dans le suivi et accroître la légitimité et la crédibilité des orientations.

Mais les pièges sont nombreux : gestion de flux avec la délégation pure et simple d’actes professionnels que l’on ne peut (veut) plus accomplir soi-même, replis corporatistes, enjeux de pouvoirs, confusion des rôles. Or, la rencontre de professionnels d’origines diverses doit bien être pensée en terme de plus-value et de complémentarité, dans le respect des spécificités de chacun. Et plus qu’une addition, une juxtaposition de compétences, c’est de la construction d’une approche synthétique voire synergique dont il est question.

Parler de pluridisciplinarité conduit nécessairement à définir la nature des actes professionnels et des acteurs à même de les poser, à chaque stade du processus de suivi d’une personne placée sous main de justice : évaluation initiale et continue, dispositifs collectifs d’orientation des publics, planification et construction d’un parcours de peine, modalités d’intervention…

Clarification des missions du SPIP, clarification des missions du CPIP, élaboration d’un processus de suivi, autant de travaux restés sans suite depuis 2009, conduisant les SPIP et ses agents à une impasse de laquelle les recrutements « pluridisciplinaires » effectués depuis ne permettent pas de sortir et à des organisations de service contre-productives : polarisation et spécialisation à outrance, mesures articulées autour de la durée ou de la nature de la peine alors que c’est la personne suivie et la progressivité du parcours d’exécution de la peine qui devraient dicter les modalités d’intervention…

Comme trop souvent, et au-delà de la confusion de l’individualisation du suivi avec la gestion de flux, l’administration pénitentiaire a pensé à l’envers : elle a recruté des personnels, puis s’est demandée ce qu’elle allait pouvoir leur faire faire…

Pluridisciplinarité dans les SPIP : ce qu’il en est …

Imposer ce thème de la pluridisciplinarité dans les SPIP à l’occasion des négociations statutaires de 2009 n’a malgré tout pas été totalement vain : d’autres acteurs ont ainsi progressivement fait leur entrée dans les services….

S’agissant des personnels de surveillance, si nous saluons les recrutements effectués, nous pouvons néanmoins considérer ces efforts comme découlant davantage d’un objectif de gestion des flux, au regard de l’augmentation exponentielle des PSE. Le SNEPAP-FSU ne peut se contenter des missions des

personnels de surveillance en SPIP telles qu’elles sont définies dans la fiche de poste qui leur est consacrée. L’entrée des personnels de surveillance en SPIP par le seul biais de la gestion matérielle du PSE a souvent conduit à fortement limiter leurs possibilités d’implication dans ces mesures, mais

également dans l’ensemble des autres mesures prises en charge dans un SPIP. Pire, l’absence de réflexion globale à l’échelon national a conduit à la délégation pure et simple de mesures (SME, PSE..) aux personnels de surveillance, et ce en fonction de leur seule durée, sans aucune forme d’évaluation préalable, à morceller les prises en charge des PSE en ne leur laissant que la gestion de certains incidents et modifications horaires, à confier à ces agents des tâches que personne d’autre ne peut assurer (maintenance des véhicules, accueil, permanences diverses…). Faute d’avoir inscrit et pensé leur intervention dans le cadre d’un réel travail pluridisciplinaire et en équipe, les personnels de surveillance font l’objet d’une gestion surprenante, voire scandaleuse.

S’agissant des psychologues, des engagements de recrutements avaient été pris par le Ministère de la Justice dans le cadre de l’étude d’impact accompagnant le projet de loi de 2011 relatif à l’exécution des peines. La création de 103 emplois de psychologues pour assurer le développement des Programmes de Prévention de la Récidive (PPR) et la généralisation de feu le DAVC était prévue. A ce jour, avec moins du quart de ces recrutements réalisés et l’absence d’anticipation de ces précieuses arrivées, il est peu

dire que les psychologues en SPIP sont mal nés. Les objectifs mêmes de ces recrutements (PPR et DAVC) ne pouvaient d’ailleurs conduire à un autre résultat. L’Administration Pénitentiaire s’en est toutefois quelque peu affranchie à travers la fiche de poste qui leur est dédiée. Il y a un an, le secteur national des psychologues du SNEPAP-FSU attirait l’attention par une mise au point sémantique ainsi qu’un éclairage sur les spécificités et le cadre déontologique du métier de psychologues. Une distinction était opérée entre ce qui relevait davantage de l’analyse de la situation de travail de l’agent (supervision, analyse de pratique, régulation d’équipe), qui n’autorise pas le psychologue à intégrer pleinement une équipe, et des fonctions s’inscrivant tout à fait dans le cadre d’un travail pluridisciplinaire (évaluation psychologique de la personne, avis sur l’orientation, éclairage psychopathologique…).

A l’heure du big bang de la probation, de la pleine reconnaissance des SPIP et de leur activité, la situation a-t-elle évolué ? Nous vous laissons deviner.

S’agissant des animateurs socio-culturels, une chimère…nous ne comptons plus les établissements où les CPIP continuent d’investir les champs transversaux, en élaborant de A à Z, voire en animant eux-mêmes

des activités socio-culturelles…comme s’il n’existait pas des professionnels autrement plus compétents pour le faire…

Pour ce qui concerne qui concerne l’intervention des services d’action sociale dans les établissements pénitentiaires, rien de nouveau : la plupart des Conseils Généraux et des CCAS tournent la tête. La fiche de poste des

assistants de service social n’a jamais été travaillée avec les organisations professionnelles, les missions qui leurs sont confiées restent au choix, et cela n’étonne personne que les postes ne soient pas pourvus…

La DAP a avancé sur la question de la pluridisciplinarité, ou du moins l’a-t-elle cru, par à coups et au gré d’opportunités, sans doctrine précise sur les objectifs et la place des acteurs.

Méthodologie fort contestable qui conduit aujourd’hui à de sévères tâtonnements dans le cadre du recrutement de psychologues en SPIP, de réelles inégalités dans les missions exercées par les agents PSE et d’importants retards dans la détermination des stratégies de

positionnement du SPIP au sein de l’Administration Pénitentiaire, du droit commun au sein des établissements pénitentiaires.

Or, le SNEPAP-FSU considère comme nécessaire d’aller de l’avant s’agissant de la distinction missions du SPIP et missions du CPIP, missions du SPIP et intervention du droit commun.

Au-delà, la question de l’évaluation et de la construction du parcours de peine, dans un objectif de meilleure individualisation du suivi, est centrale, et c’est dans cette démarche que nous devons inscrire la pluridisciplinarité. Une pluridisciplinarité respectueuse des compétences et du cadre déontologique de chacun.

Sur cette thématique, l’Administration Pénitentiaire a enfin trouvé la piste des Règles Européennes de la Probation, dont elle a favorisé la diffusion. Reste maintenant à s’emparer de la réflexion avec les SPIP, les personnels et les organisations professionnelles qui les représentent…

Paris, le 14 mai 2014

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