Circulaire DAVC : « Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… »

Depuis le mois de juin 2011, la DAP avait mis en jachère son projet de déploiement du DAVC, confrontée à l’opposition résolue du SNEPAP-FSU qui avait mis en lumière dès janvier 2011 l’absence de tout cadre légal et réglementaire à l’utilisation d’APPI dans son ensemble.

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Ainsi, la DAP comptait mettre en œuvre le DAVC sans le moindre examen par la Commission Nationale Informatique et Libertés, dont la mission n’est rien moins que de « veiller à ce que le développement des nouvelles technologies ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ». Une mission qui n’a sans doute, aux yeux de la DAP, rien à voir avec la « création par le ministère de la justice d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “application des peines, probation et insertion” (APPI) » dont l’une des finalités est « de faciliter l’évaluation de la situation des personnes placées sous main de justice, prévenues ou condamnées, pour la détermination ou l’exécution des décisions de l’autorité judiciaire relatives à leur insertion ou leur probation » (Décret no 2011-1447 du 7 novembre 2011 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « application des peines, probation et insertion »). En bref, pour la DAP, qui ne s’en était guère inquiétée depuis 2005 et le déploiement d’APPI, rien dans ce dernier qui ne semblait donc concerner le développement de nouvelles technologies susceptibles de porter atteinte à la vie privée ou aux libertés individuelles des personnes confiées aux SPIP ! C’est ainsi qu’ « à titre liminaire, la commission s’étonne, et déplore, que l’application ait été déployée dès 2005 sur le territoire national avant même que les formalités préalables à sa mise en oeuvre n’aient été accomplies ».

L’action du SNEPAP-FSU a néanmoins permis de retarder la marche en avant de l’Administration sur le DAVC et l’a contrainte à soumettre officiellement ses projets aux regards de la CNIL et du Conseil d’Etat. Si l’essentiel du projet demeure, un certain nombre des réserves de la CNIL, qui rejoignent pour une large part les critiques du SNEPAP-FSU, ont imposé à la DAP de faire marche arrière. La question des destinataires des informations contenues dans APPI et le DAVC en premier lieu, a ainsi tout particulièrement retenu l’attention de la commission. Elle a notamment imposé que « des précisions soient apportées sur la nature des données auxquelles devraient avoir accès ces destinataires en fonction de leurs attributions et souligné qu’il serait également utile de distinguer les personnes ayant un accès en simple consultation au traitement des personnes ayant un accès avec modification. » Pour autant, la CNIL n’a pu se satisfaire des réponses apportées par l’Administration et par conséquent, elle « invite le ministère à définir plus strictement encore les profils d’accès en fonction du besoin d’en connaître de chaque catégorie de destinataire ». Elle remarque à cet égard que « le traitement conserve les traces relatives à certaines actions de création, de modification de suppression ou d’édition » mais que « les simples consultations du traitement ne font l’objet d’aucune mesure de traçabilité. Sur ce point, la commission considère qu’une telle situation ne saurait être que provisoire eu égard à la sensibilité des données et à l’importance du nombre de leurs destinataires. La commission déplore que le ministère projette de ne mettre en oeuvre qu’à moyen terme un dispositif complet de traçabilité des actions. Elle lui demande de mettre en place, sans attendre, les mesures appropriées ». Les observations de la CNIL ne peuvent que confirmer les craintes du SNEPAP-FSU sur une utilisation dévoyée des informations collectées par les personnels d’insertion et de probation et réunies dans le DAVC.

D’autant plus que les inquiétudes du SNEPAP-FSU portaient également sur les données traitées, tout particulièrement dans le cadre du travail d’évaluation, et notamment sur certains champs renseignés par des données subjectives et dont l’intitulé même est imprécis. « Ainsi, la commission [consciente de l’importance de ces données pour permettre l’individualisation des mesures, la réinsertion sociale et la lutte contre la récidive] considère que les champs « rapport à la condamnation et aux actes commis : affaires antérieures et en cours, positionnement au regard de la condamnation, des faits de la loi, de la victime », « capacité personnelle au changement », « conclusion de l’évaluation », « freins et leviers au projet de réinsertion », tous associés à des zones de commentaire libre, devraient être explicités et faire l’objet de consignes précises d’utilisation ». Enfin, la CNIL rappelle que ces données devront être communiquées à l’intéressé à sa demande. Les données « sensibles » relevant de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 ne pourront être enregistrées que dans la mesure où elles sont nécessaires à l’évaluation de la personne et à l’octroi d’une mesure liée à l’application des peines. La CNIL distingue ainsi clairement les données selon leur nature : simples informations ou éléments de l’évaluation du SPIP, et considère à l’évidence que l’accès aux secondes doit être strictement limité aux nécessités de l’individualisation des peines. C’est sur ce dernier point que les réponses de la DAP ne manquent pas d’ambiguïtés.

En effet, des options « techniquement irréalisables » selon la DAP, voilà quelques mois, sortent soudainement du chapeau devant la CNIL. On apprend ainsi : « les directeurs d’établissements pénitentiaires n’accèdent pas aux données d’évaluation et accèdent au reste du traitement uniquement en consultation (sauf dans le cadre de la modification d’une mesure d’aménagement d’une peine dans les conditions prévues à l’article 712-8 du code de procédure pénale) » ou encore « les magistrats du parquet n’ont accès à l’application qu’en consultation, sauf dans le cadre de l’exécution de certaines mesures d’aménagement des peines introduites par la loi précitée du 24 novembre 2009 ». En outre, la CNIL estime que « les personnels des greffes des services judiciaires, les personnels administratifs des SPIP et des services de la PJJ ainsi que les personnels de surveillance affectés dans les SPIP ne devraient pas accéder à l’ensemble des données traitées, notamment s’agissant des données d’évaluation des personnes, sauf à y être spécialement habilités lorsque cet accès est nécessaire à l’exercice de leurs fonctions ». Dans cet imbroglio, la DAP fait donc mine d’avoir distingué les habilitations et les droits d’accès à APPI en fonction des attributions de chacun. Le SNEPAP-FSU ne peut que faire part de son extrême scepticisme sur la réalité de ces évolutions techniques et exige de la DAP qu’elle lui communique sans délai les différents profils d’accès qui sont censés exister au regard des propos qui ont été tenus devant la CNIL ! En effet, aucune mention de ces distinctions n’apparaît à ce jour aussi bien dans le décret APPI que dans la circulaire DAVC. Et pour cause…

En effet, concernant la nature du DAVC, la circulaire du 8 novembre 2011 le considère comme un rapport au sens de l’article D. 575 du CPP. Nul besoin donc de distinguer consultation et modification puisque dans tous les cas, la simple consultation donnera un accès intégral aux autorités judiciaires sur ce qui devait être un outil d’évaluation du SPIP. Voilà des mois que le SNEPAP-FSU avait dénoncé cette dénaturation d’un outil de travail en un rapport à l’autorité mandante devant une administration alors en plein déni. Cette reconnaissance tardive est un nouveau pied de nez à la profession, ce, d’autant plus que le DAVC se surajoute aux rapports semestriels, rapports ponctuels de situation et rapports de fin de mesure. Le SNEPAP-FSU exige que le travail entamé sur la redéfinition des relations entre les SPIP et les autorités mandantes aboutisse enfin, mette un terme au régime arbitraire des instructions particulières et établisse un rythme lisible et pertinent pour la rédaction des rapports. La DAP ignore ainsi le principe qu’elle a elle-même édicté dans la circulaire relative aux missions et aux méthodes d’intervention des SPIP du 19 mars 2008 : « Dans un contexte de développement des écrits, il convient de conforter leur caractère fondamental et impératif mais il importe aussi d’affirmer qu’ils ne doivent pas se réaliser au détriment des suivis qui demeurent les actes majeurs des personnels d’insertion et de probation ». Mais la circulaire reste engoncée dans les scories de l’ère des CPAL. Déjà en mai 2010, la DAP affirmait aux personnels dans son mémo n°14 : « A terme le DAVC sera disponible sur APPI, et certains éléments du DAVC seront visibles en lecture seule par le magistrat de l’application des peines », et provoquait l’opposition immédiate du SNEPAP-FSU. Dans la circulaire du 8 novembre, elle énonce que « le magistrat mandant peut faire des observations utiles et notamment un commentaire partagé sur la modalité de prise en charge arrêtée par le SPIP ». Cette formulation pour le moins imprécise, qui va encore plus loin que la simple visibilité par le seul JAP, donne–t-elle la main aux SPIP pour déterminer les modalités de prise en charge, comme le réclame le SNEPAP-FSU, ou rajoute–t-elle encore à la confusion créee dans les services par les exigences de certains magistrats ? De la sécurisation des pratiques du SPIP initialement voulue, impérative depuis l’affaire de PORNIC, la DAP a transformé un outil d’aide à l’évaluation en un rapport permanent consultable, à tout moment et indifféremment par toutes les autorités mandantes et les directeurs d’établissement. Plus que jamais, dans ces conditions, il deviendra rapidement vide de sens, dénué d’intérêt pour les professionnels et attentatoires aux droits des personnes suivies. Et le déploiement contraint au 1er mars 2012, prévu par la circulaire, sans moyens supplémentaires, sans formation adéquate des personnels et sans corrections des dérives dénoncées, n’est que l’annonce d’un fiasco retentissant pour la DAP.

Nul besoin d’agrémenter la circulaire du 8 novembre 2011, d’extraits des règles européennes de probation pour tenter piteusement de parer le DAVC de vertus déontologiques que la DAP a perdues de vue depuis longtemps. La seule visibilité par les autorités judiciaires du Siège et du Parquet sur les hypothèses de travail des personnels d’insertion et de probation et les conséquences qui peuvent en découler pour la situation pénale des PPSMJ, suffisent à disqualifier un outil qui ne sert désormais plus que la communication institutionnelle de la DAP et du Ministère.

Pour le SNEPAP-FSU, qui réaffirme son appel au boycott du DAVC, la page est tournée et l’occasion de doter les SPIP d’un outil d’évaluation complet, définitivement manquée…

Les VRP de la DAP qui recommencent à sillonner la route des SPIP de France,

peuvent remballer…

Pour le SNEPAP-FSU, la circulaire DAVC qui brille par son absence de déontologie

et sa légalité douteuse, est nulle et non avenue !

Paris, le 15 novembre 2011.

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