PROJET DE LOI PENITENTIAIRE la prison sans fond : débat aux oubliettes ?
Le Projet de Loi Pénitentiaire a été adopté par le Sénat le 6 mars dernier. Il doit être examiné
par l’Assemblée Nationale à partir du 12 mai 2009.
Alors que ce texte se fait attendre depuis plus d’une année, le SNEPAP-FSU est consterné
par la décision du gouvernement de recourir à la procédure d’urgence impliquant une seule
lecture devant les deux chambres du Parlement. Cette décision est d’autant plus injustifiée et
inacceptable qu’après avoir sommé le Comité d’Orientation Restreint (COR) de rendre ses
conclusions dans un délai plus que limité, l’examen de ce projet de loi a connu plusieurs reports
successifs sans motif.
Bien que la commission des lois du Sénat apporte des améliorations au texte initial présenté
par le gouvernement, le SNEPAP-FSU considère que ce projet de loi est bien en deçà de
l’ambition d’une « grande loi pénitentiaire » tant du point de vue des personnes détenues que
de celui des personnels !
– Les droits des personnes détenues
C’est sur cette partie que le manque d’ambition est le plus criant. Il est lassant de répéter que
divers rapports, notamment parlementaires, se sont faits l’écho de la nécessité d’apporter des
modifications fondamentales au droit existant. Les recommandations du Conseil de l’Europe et
de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) méritent une
prise en compte plus conséquente ! Le projet de loi doit être porteur de cette ambition !
Pour le SNEPAP FSU, certaines avancées peuvent cependant être soulignées : consécration
législative de l’accès au téléphone en maison d’arrêt, possibilité de domiciliation à
l’établissement pour faciliter l’exercice des droits civiques, entrée des entreprises d’insertion, droit
à l’information dans une langue comprise.
Quelques progrès peuvent également être notés sur
l’instauration d’une consultation des personnes détenues sur leurs activités, concernant le droit à
l’intégrité physique (affirmation de ce droit, responsabilité sans faute de l’Etat en cas de décès d’une
personne détenue du fait d’une agression, et droit à l’information des familles en cas de suicide), sur
l’introduction de dispositions encadrant les fouilles corporelles (exclusivement si la fouille par
palpation et les moyens électroniques de détection se révèlent insuffisants).
Le SNEPAP-FSU déplore ainsi que de multiples dispositions de ce projet de loi n’aient lieu
qu’à droit constant. Ainsi, le texte ne prévoit pas d’extension du droit de visite et en consacre les
mêmes limitations qu’aujourd’hui (distinction contestable entre le droit de visite des familles, dont
le régime des permis est plus « libéral », et les autres pour lesquels le refus du permis est possible
« si les visites font obstacle à la réinsertion du condamné »). De même, la correspondance peut
toujours être lue.
Sur d’autres points, le projet est nettement insuffisant. « L’acte d’engagement
professionnel » consacré par ce texte est loin de permettre un rapprochement avec le droit commun.
Or, pour le SNEPAP-FSU, la personne détenue qui travaille, doit être protégée par les dispositions
du code du Travail. Il s’agit de droits, mais aussi d’une manière de penser l’intégration citoyenne de
la personne détenue.
D’autres dispositions sont contestables. La commission des lois du Sénat introduit ainsi une
obligation d’activité (sous réserve que l’établissement soit en mesure de proposer plusieurs
activités !) qui doit avoir pour final la réinsertion et être adaptée à l’âge, aux capacités et à la
personnalité de l’intéressé. Pour le SNEPAP-FSU, cette activité contrainte constitue un sérieux recul
en matière de droit des détenus. Elle ne serait concevable que si elle constituait la contre-partie d’un
revenu minimum pénitentiaire. Or, le projet de loi n’établit qu’un droit à une aide en nature pour les
personnes détenues dans une situation « d’indigence ». Cette disposition étant insuffisante, le
SNEPAP-FSU demande l’instauration d’un revenu minimum pénitentiaire et l’accès pour les
détenus à l’ensemble des droits sociaux
Dans tous ces domaines, la référence au droit commun doit être le guide du législateur.
Enfin, les droits des personnes détenues tels qu’énoncés dans la loi font l’objet de limitations
possibles. Par exemple, selon l’art 10 du projet l’exercice de ces droits « ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité
et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des
victimes ». Pour le SNEPAP-FSU, ces limitations aux droits font référence à des notions si
larges et si floues, que ce qui devrait être l’exception (les limites aux droits) risque de
constituer la règle.
– Encellulement individuel
La commission des lois a – fort heureusement ! – repris le principe de l’encellulement individuel.
Le texte gouvernemental introduisait en effet un recul inacceptable en restreignant ce principe voire
en l’inversant pour les prévenus. Cependant, le SNEPAP-FSU dénonce le nouveau moratoire de
5 ans prévu pour son application. La politique pénale et les dispositions relatives aux alternatives
à la détention doivent permettre l’application de ce principe essentiel qui conditionne bien souvent
l’accès effectif aux autres droits.
– Différenciation des régimes de détention
Le projet de loi prévoit que ceux ci sont déterminés en prenant en compte la personnalité, la
dangerosité et les efforts en matière de réinsertion sociale. Si ces dispositions inscrivent dans la loi
des pratiques existantes, la réalité carcérale permet d’en observer les limites et les dérives. Ainsi
que l’a relevé le Contrôleur Général des lieux privatifs de liberté, « ce parcours consiste à opérer un
tri parmi les condamnés, en proposant une évolution à certains d’entre eux et en laissant les autres
sans espoir d’amélioration de leur sort ».
De plus, pour le SNEPAP-FSU, la progression du régime de détention doit se faire au
regard de l’objectif de prévention de la récidive et de retour à la vie libre et non être
conditionné uniquement par des critères de comportement en détention, au risque d’en faire
un régime disciplinaire non avoué.
– Sur le droit disciplinaire
Le projet inscrit au niveau législatif les principes fondamentaux du droit disciplinaire, et
limite la durée maximale de placement au quartier disciplinaire ou en confinement à 21 jours ou 30 en cas de violence physique contre les personnes (le projet initial du gouvernement prévoyait 40
jours). Si le SNEPAP-FSU se félicite de cet abaissement de la durée maximale du QD, qui nous
rapproche des systèmes de nos voisins européens, nous souhaitons que la proposition du COR qui
prévoyait un maximum de 21 jours, sans exception, soit reprise.
– Concernant l’application des peines,
Ce volet comprend des dispositions intéressantes élargissant les possibilités d’aménagement
de peine : passage de 1 à 2 ans pour bénéficier d’un aménagement de peine sous écrou,
élargissement des conditions d’octroi à tout « projet sérieux de réinsertion », assouplissement des
conditions d’octroi de la libération conditionnelle pour les personnes détenues âgées de plus de 70
ans, extension de la procédure dite du « SAS de sortie » à la libération conditionnelle et pour toute
peine inférieure à 2 ans ou inférieure à 5 ans et dont le reliquat est de 2 ans…
Cette extension n’aura cependant aucun sens sans le recrutement de personnels en
conséquence et sans l’octroi d’un budget conséquent lié au développement des aménagements
de peine.
De plus, pour le SNEPAP-FSU, il convient de rappeler qu’une politique d’aménagement
de peine ne doit pas se limiter à la gestion des flux, notamment en période de surpopulation
carcérale aggravée par la politique pénale.
Une véritable politique d’aménagement de peine doit
se définir au-delà des impératifs liés au taux d’occupation, et s’inscrire dans une stratégie dont
l’objectif est la prévention de la récidive.
Pour le SNEPAP-FSU, certaines dispositions essentielles font défaut.
D’une part, un nombre important de courtes voire de très courtes peines font suite à un mandat de
dépôt prononcé dans le cadre d’une comparution immédiate, et « échappe » donc à la procédure de
l’article 723-15 du CPP. Pour le SNEPAP-FSU, la loi doit prévoir une disposition restreignant
les possibilités de mandat de dépôt dans le cadre de la procédure de comparution immédiate.
En l’absence de dispositions sur ce sujet, la loi ne règlera pas la question des courtes et très courtes
peines, qui sont pourtant par ailleurs l’objet de diverses dispositions positives.
De plus, partant du principe que toute peine devrait s’exécuter pour partie en milieu fermé et pour
autre partie en milieu libre, le SNEPAP-FSU milite pour l’instauration d’un système de
libération conditionnelle dite d’office. La libération conditionnelle devrait en effet être le mode
normal d’exécution d’une peine d’emprisonnement et non perçue comme une « faveur » accordée au
condamné. Le projet de loi ouvre les conditions de la libération conditionnelle à « tout projet
sérieux d’insertion ou de réinsertion ». Cependant, pour le SNEPAP-FSU, cette condition risque de
continuer à constituer un frein pour les personnes ayant des difficultés d’insertion socioprofessionnelle.
L’insertion ou la réinsertion est rendue plus difficile par l’incarcération. Le projet
sérieux d’insertion ou de réinsertion doit être l’aboutissement de la libération conditionnelle et non
sa condition. Le système de libération conditionnelle d’office ne supprime pas l’individualisation de
la peine, mais déplace celle-ci. Le juge ne se prononce plus sur la libération conditionnelle mais sur
des obligations pouvant être plus ou moins contraignantes. Cette disposition présente enfin
l’avantage de mettre l’administration pénitentiaire en responsabilité vis-à-vis de la préparation à la
sortie.
– Concernant les missions du Service Public Pénitentiaire,
A droit constant, Le projet de loi réaffirme les missions de direction des établissements, de
surveillance et de greffe comme des missions régaliennes non délégables. Pour le SNEPAP-FSU,
les fonctions de direction des SPIP, ainsi que de suivi et de contrôle des peines s’exécutant dans la communauté doivent être intégrées à cet article. En effet, si le projet de loi prévoit que la prison doit
être la sanction de derniers recours, la crédibilité des autres peines est un enjeu central. Les peines
et aménagements de peines s’exécutant en milieu dit « ouvert » sont des sanctions pénales à
part entière qu’il faut traiter comme telles. L’exécution de ces peines relève des missions
régaliennes de l’Etat et le SNEPAP-FSU exige donc qu’elle fasse partie des fonctions non
délégables.
Par ailleurs, le chapitre relatif au personnel pénitentiaire, contient des dispositions
intéressantes comme instauration d’un code de déontologie pour les personnels pénitentiaires ou
encore la consécration législative d’une obligation de formation initiale et continue.
Cependant le SNEPAP-FSU est totalement opposé à la constitution d’une « réserve civile
pénitentiaire » permettant d’avoir recours à personnels retraités pour l’exercice de certaines
missions. Le SNEPAP-FSU demande la suppression de ces dispositions dont la finalité est de
pallier les carences en personnel. Il est de la responsabilité de l’Etat de recruter des personnels en
nombre suffisant pour mener à bien les missions du service public pénitentiaire.
De plus, l’article additionnel de la commission des lois tendant à consacrer le rôle des
personnels de surveillance comme troisième force de l’Etat en matière de sécurité intérieure est
particulièrement contestable. Pour le SNEPAP-FSU, si les personnels pénitentiaires participent à la
sécurité, ce n’est qu’une conséquence de leur mission qui doit rester centrée sur l’exécution des
peines.
Enfin, les dispositions relatives au rôle des personnels d’insertion et de probation sont
largement insuffisantes. Le coeur de métier de ces personnels se situe dans l’individualisation des
peines et mesures pré-sententielles ainsi que dans l’aménagement des peines. Pour le SNEPAP-FSU,
il est donc préjudiciable que ces deux notions, actuellement fondamentales, ne figurent pas
dans la définition de leur rôle.
Le SNEPAP-FSU, a porté et défendu ces revendications auprès des sénateurs, notamment par
la proposition d’amendements. Certains ont été repris et donc débattus.
Nous continuerons ce travail de sensibilisation des parlementaires
dans l’optique du passage du texte à l’Assemblée Nationale.
Le débat parlementaire ne doit pas être rythmé par l’urgence mais doit être approfondi et
riche sur ce projet fondamental et lourd de conséquences !
Les parlementaires doivent apporter des améliorations au texte et
avoir le courage de porter un nouveau regard sur la peine !
Paris le 19 mars 2009